Kedistan a publié un article concernant le retour de 150 femmes venant des différentes villes de Turquie qui s’était rendues récemment à Cizre, ville restée sous blocus et loi martiale, du 4 au 12 septembre et où 21 civils ont été tués. “Paroles de femmes sur Cizre”
Lors d’une réunion et conférence de presse, le BIKG, “Barış İçin Kadın Girişimi” avait projeté un film de 25 minutes tournée à Cizre, auprès des femmes de la ville.
Nous complétons le volet, avec une traduction des témoignages.
2:10
Une jeune femme :
Les deux premières soirées, nous sommes restés à la maison malgré les bruits de tirs. Ensuite quand ça a augmenté, nous avons été obligés de quitter la maison et nous nous sommes réfugiés chez nos voisins. Et là-bas aussi, nous avons entendu des explosions jusqu’au petit matin. Nous sommes étonnés d’être ici, en ce moment, en vie… Vraiment, on s’est dit qu’on allait mourir. Je suis encore en état de choc . Nous ne pensions pas que nous serons en vie malgré les bombes. Nos enfants dans nos bras… sans rien à boire, à manger, sans couches, sans électricité… nous étions dans une réelle misère. Nous aussi, nous sommes des êtres humains, devons nous être tués, parce que nous sommes des kurdes ? C’est ça qu’ils veulent ? Que nous mourrions parce que nous sommes Kurdes ? Devons-nous mourir parce que nous voulons [parler] notre langue ?
3:38
Une grand-mère sur la route du cimetière :
Tout le monde va mourir ma fille, nous sommes tous des mortels. Nous ne pouvons pas être éternels. Mon fils avait 18 ans. Mon petit enfant… voilà… Je ne veux pas que les mères turques pleurent, je ne veux pas que les mères kurdes pleurent non plus, ni les mères des policiers… que personne ne pleure. C’est la chair de chacun. C’est du gâchis. Le coeur de chacun brule. C’est dur, très dur. Qu’ils ne fasse pas ça. Que je me sacrifie… si tu avais vu mon fils, si tu avais vu mon petit enfant… Que le Dieu donne de la patience. Que le Dieu apporte la paix au monde, qu’il apporte la sérénité. Nous, on veut pas que ça se passe comme ça.
4:40
Au cimetière :
Dieu, Prophète, merci à tout celles et ceux qui sont venus. Nous, toutes les mères nous allons nous prendre par la main et nous allons arrêter ce sang. Les mères des policiers, les mères des soldats, les mères de guérillas, réunissons nos mains, arrêtons ce sang. Ce ne sont pas les enfants d’Erdogan qui se font tuer, mais les enfants des pauvres. Le policier, le soldat qui se fait tuer, ne sont pas ses fils. Les Kurdes ne sont pas ses enfants. Nous, on ne disparaitra pas à force d’être tués ou arrêtés. Nos enfants sont tous en geôle, nos enfants sont tués. Ils ont massacré un enfant de 30 jours, ils ont massacré nos gens de 70, 80 ans. Nous n’avons pas chars, de canons. Nous n’avons pas d’armes, de blindés.
Pendant ce temps là, on voit une mère caresser la pierre tombale de son fils…
Nous n’avons rien, nous avons que notre Dieu. Que le Dieu mette fin à cette souffrance. Nous appelons toutes les mères. Nous voulons la paix. Ca suffit maintenant Erdogan, nous voulons la paix. Nous tendons nos mains pour ça. Merci d’être venus, à tous.
6:28
Une jeune femme avec son fils :
- Nos enfants était tous là, ils étaient “crevés” de pleurer, ils avaient très peur. Nous appuyons nos enfants sur nos poitrines. Les jeunes nous appelaient, nous disaient, venez faire vos youyous ici. Nous enfermions les enfants derrière les portes, et nous allions derrière les boucliers des jeunes pour faire des youyous. Et eux, [les forces de sécurité] tiraient avec des canons. On était assourdis. Ce qu’on a subi ne restera pas sans peine. C’est eux qui sont la cause de [la mort] de ces enfants. Ils ont tué tous ces enfants. Inchallah, ils serreront la gorge d’Erdogan [à l’au delà], le jour du jugement. Tout ceux qu’il a tué dans ce monde, lui serreront la gorge comme ça inc’hallah. Nous avons voulu que nos petits soient tranquilles comme des êtres humains, qu’ils aient une vie décente. Comme des êtres humains, qu’ils aient une école, qu’ils apprennent lire et écrire. Mais nous voulons juste notre identité, rien d’autre. Qu’il garde ses chars, ses canons, nous voulons juste ce qui est de notre droit, nous voulons vivre avec notre identité.
Elle montre les maisons détruites, les voitures brûlées :
- Ils ont tiré au canon. Tout est détruit dans la maison. Vous voyez là aussi… La voiture est brulée aussi. Il n’y a plus rien dans la maison. Ni chambre à coucher ni rien.
A l’intérieur de la maison :
- Cette partie [du mur et le plafond] s’était écroulée. Il n’y avait plus de vitres. C’est réparé depuis quelques jours. Il y’a des morceaux encore par terre. Ils étaient à l’intérieur. Je leur ai dit de venir à la maison. Ils ont voulu regarder par la fenêtre. Les blindés étaient juste devant. Quand ils ont ouvert les rideaux, ils ont mitraillé la maison. Ils ont fui vers l’interieur. Ils ont laissé leur maman dans le coin, parce qu’elle était lourde. Si tu ne fuis pas à l’instant, tu ne vivras plus.
10:26
Dans une autre maison :
- Nous étions en train de cuisinier au foyer. Nous n’avions rien à manger, nous n’avions plus de gaz. Nous n’avions plus d’eau. Nos enfants était sans nourriture. Ma fille est handicapée, elle ne savait pas où fuir. Ils nous tiraient dessus avec des canons, alors que nous, nous étions tous dans la maison avec les enfants. Ils criaient, ils pleuraient. Nous ne pouvions pas sortir de la maison.
14:53
- Ma fille est resté sans lait à la maison, pendant 9 jours. Elle a 5 mois. Nous n’avions pas de lait. Les commerces étaient fermées, tout était fermé. Nous n’étions pas préparés. Si nous avions su, nous aurions fait des préparations, nos réserves. Ils ont envoyé des roquettes et des lacrymos sur nos maisons, dans nos maisons. Nous, les adultes, nous comprenions ce qui se passait mais les enfants ont souffert. Nous ne trouvions pas d’eau pour nos enfants. Ils ont coupé notre eau, notre électricité, fermé les magasins, mis l’interdiction [couvre feu]. Ils nous ont fait beaucoup souffrir.
11:40
- Ils ont tiré avec des canons sur tout le quartier. Nous avons partagé un seul pain, à 40, 50 personnes. Nos enfants sont restés sans lait, sans aliments. Ils ont menti, ils ont tué tout le monde, des civils. Ils ont tué nos enfants dans la rue et ils ont dit que c’était des terroristes. A la télé, ils ont dit que, c’est le PKK qui a tué tous ces civils. Ils mentent, ils mentent… Quand on vient sur nous avec des chars et canons, que pourrions faire d’autre ? Nous avons résisté avec des youyous, avec nos applaudissements, avec nos voix.
12:20
Les enfants scandent :
Vie ! Femme ! Liberté !
12:40
Un autre témoignage de femme :
- Nous étions 6 familles, nous étions 75, 100 personnes dans un appartement. Pas d’eau, pas d’électricité. Nous ne pouvions pas dormir avec les bruits. On était bombardés. Les sorties des maison n’étaient pas autorisées. Les gens ne pouvaient même pas aller sur leur balcon. Voilà, c’était comme ça. C’était très difficile. Ils ont transformé la ville en Vietnam. Quand c’est fini, nous sommes sortis. Nous avons vu que le monde était détruit. Ce que vous voyez, c’est l’état un peu arrangé. Ils travaillent depuis une semaine, ils n’ont pu arranger que ça. Même maintenant nous n’avons pas de sécurité de vie. Nous avons peur maintenant aussi, de ce qui va se passer quand on va dormir. Nous dormons habillés. Je vous jure. Nous avons peur que ça explose encore. Nous avons du mal à rester dans les maisons. Les fêtes arrivent, nous n’achetons pas de vêtements pour nos enfants [achat traditionnel de fêtes de Ramadan et de moutons]. Nous ne faisons pas la fête, il n’y a plus de fêtes pour nous. C’est comme ça.
13:55
Une femme montre les douilles
- Tout ça, c’était dans ma maison, dans les matelas, les oreillers. Ma maison a failli brûler. Mes rideaux ont pris feu. Si je n’avais pas sauvé mes enfants, ils risquaient de brûler aussi. J’ai pris mes enfants sur mon dos et j’ai fui vers l’arrière de la maison, sinon ils allaient nous mitrailler tous. Nous somme restés sans nourriture et sans eau pendant 9 jours. Nos enfants pleuraient. Ils ont crevé tous nos bidons d’eau. Erdogan nous a envoyé le pro-Daesh. Ceux qui sont venus ici n’étaient pas des policiers mais des Daesh. Ils ont tué Masallah et sa belle fille Edil. Son bébé de 8 mois est tombé dans le sang de sa mère. Personne ne pouvait aller chercher le bébé*. Comment sa conscience [d’Erdogan] peut accepter une chose pareille ? Comment on peut faire des choses comme ça à des êtres humains ? Erdogan dit, langue unique, drapeau unique, patrie unique. Si tu dis ça, pourquoi tu nous fait ces choses ? si c’est drapeau unique, patrie unique, ça veut dire que nous, on n’est pas sa patrie… On n’est rien pour lui.
(*) Pour info : Le bébé était dans les bras de sa maman, il est tombé entre les deux femmes mortes, lui même blessé, a pleuré pendant 3 heures alors que les tirs ne cessaient pas. Les deux personnes qui ont voulu le secourir ont été blessées aussitôt qu’ils ont tenté d’aller sur les lieux. Au bout de 3 heures, les jeunes ont pu miraculeusement et en prenant des risques, ont fait un passage éclair près des femmes à terre, attrapé le bébé, l’ont lancé vers le jardin à côté, où des gens attendaient pour l’attraper.
15:08
- Ils faisaient des annonces [par haut-parleurs], ils disaient [comme s’ils étaient des vendeurs de légumes ambulants] « Venez aux aubergines, venez aux concombres, aux tomates ! » C’était pour que les gens sortent.
La reporter est étonnée :
- Oh, pour vous faire sortir !! C’est les gendarmes qui faisaient ça ?
- On dit que c’est les gens de Daesh, pas les gendarmes.
- Portaient-ils des uniformes spécifiques ?
- Non, ils étaient dans les véhicules. Ils ne sortaient pas des blindés. Voilà ils annonçaient des légumes, pour que les gens sortent. Après, voilà, ils ont ciblé les maisons. Tout ce que vous voyez là, sur les maisons, c’est fait par des snipers. Qu’ont-ils pu voir dans les maisons des gens civils ? Voilà comment ils se sont comportés.
C’était un scandale. Nous n’avons pas mérité tout ça. J’espère qu’il verra aussi, celui qui a donné cet ordre le verra et comprendra ce qu’on a subi. Nous souhaitons juste ça, rien d’autre. De toutes façons tout est visible.
16:20
Dans une autre maison :
- Nous ne pouvions pas sortir. Les bruits de tirs… ils tiraient dans la chambre, juste là. On se déplaçait dans la maison, en nous baissant. Voilà, nous sommes sortis par là, toujours en nous baissant, en rampant. On a descendu par là et on est allés dans deux maisons. Nous avons creusé trois trous. [pour passer d’une maison à l’autre sans passer par les portes]
Dans la cour :
- Nous faisions du pain, ici, ils nous ont tiré dessus. Nous avons tout laissé et pris la fuite.
Dans le coin de la rue :
- D’abord nous regardions comme ça, si les blindés étaient là, nous reculions tout de suite. Ensuite on regardait de nouveau. De toutes façons on les entendait. Quand ils s’éloignaient, on plongeait, mais avant qu’on arrive au bout, c’est celui [le blindé] du haut arrivait. Alors on fuyait jusqu’à la maison là bas.
Dans la rue :
- Je vais vous la montrer. Ma maman est diabétique. Elle est tombée deux fois, par là… La nuit était noire. Ils ont tiré là, après nous, là… [elle montre le trou]. Malgré ça on a fui. Il était 1h, ou 2h du matin, nous avons donc fui et nous sommes arrivés là.
Dans le jardin de la 2ème maison :
- Cette maison a reçu aussi des tirs. Nous, on est allé dans l’abri, ici [elle montre la porte]. Nous y sommes restés 4, 5 jours. Après quand il y a eu des bombes à droite à gauche ici, nous n’avons pas pu résister et nous avons encore fui.
Nous avons troué là, nous avons cassé le mur, et nous sommes passés comme ça. [elle passe]. Et là, je regarde, il y avait déjà plein de familles. La nuit, les familles se réfugiaient ici. Quand je suis arrivée, ils se tenaient tous là, avec des valises, comme les réfugiés.
Nous les jeunes, nous avons le sang chaud, nous somme enthousiastes, quand j’ai vu ces familles ici, comme des otages, je n’ai pas supporté. J’ai dit que j’allais me mettre face aux blindés. Je suis venu dans le coin, j’ai regardé la rue, ils ont tiré, et mon père m’a attrapé par le bras, m’a dit, n’y va pas. Je lui ai dit, je ne peux pas voir ma mère comme ça, je vais y aller.
[elle montre les lieux]. Je suis passée par là, il y avait une maison ici, les propriétaires ont déménagé. Je suis venue par ici, tout doucement [elle se basse derrière un mur]. J’ai vu les blindés par les trous des tirs. C’est des tirs des blindés, qui étaient passés par ici en traversant le mur, et qui avaient atterri sur l’autre maison.
Toujours dans la rue :
- Deuxième ou troisième nuit ils ont fait une descente dans cette maison. Il y a eu quelques garde-à-vue. Les propriétaires on déménagé aussi. Le mur est cassé par les blindés. Nous nous sommes réfugiés dans cette maison [la suivante, dans la même rue]
Dans la maison :
- Nous venions ici, les enfants pleuraient. Il faisait noir. On ne pouvait allumer quoi que ce soit, même les lumières des téléphones. Après on est venus dans cet pièce, parce que ce rez-de chaussée était plus sécurisé. Il y avait une centaine de personnes. 17 familles avec enfants.
Ce jour là, je disais, si les journalistes venaient, je vais hurler, hurler, pour dire tout. Quand 2, 3 jours passent, on est toujours sous l’effet mais, plus soulagé… C’est comme si le truc dans le cerveau s’effaçait.. [on est blasé, on s’habitue ?] quand il y a une explosion, on fait ça [elle bouche les oreilles], on le fait encore… Nous disions aux enfants qu’il y avait une fête de mariage pour les tirs [tradition de tirs en l’air ou à blanc pendant les mariages]. Alors ils disaient « tata, allons au mariage »… Comment faire ?
Ils passaient la musique sur les haut-parleurs, de Neset Ertas [chanteur traditionnel de l’Anatolie centrale]. Nous étions dans la peur et eux, ils nous passaient des chansons. Ils faisaient des annonces de vente de tomates, d’aubergine. Des annonces….
Ils nous ont carrément torturés. La nuit de la descente, ils nous ont dit « Alors, où sont vos députés ? Où sont les députés pour lesquelles vous avez voté ? Qu’ils viennent vous sauver. »
Quand ils ont quitté nos maisons. Ils ont pris nos enfants comme des boucliers. Ils ont utilisé des touts petits enfants comme des boucliers, comme ça [elle montre avec un enfant]
Nous n’avons pas compris, pourquoi nous avons été punis. Ils nous disaient « C’est votre punition. » « Vous voyez tout ce qu’il vous arrive. C’est vous qui l’avez cherché ». Nous, on n’a pas compris pourquoi cette punition. Qu’avons nous fait ? Nous ne sommes pas les citoyens de Turquie ?
Dans la rue :
- Les gens ont beaucoup hurlé, crié. Ils ont vidé leur coeur. Moi, je me suis tue, tout le temps.
Dans le refuge :
- Tout le monde, l’un sur l’autre. Neuf jours, nous sommes restés comme ça.
Devant le four à pain :
- Ici, c’était le four de notre quartier… four à pain.
23:00
Et l’école ?
- Et après les fêtes, les enfants pourront aller à l’école ? [la rentrée — le 28 septembre]
- Non, ils ne peuvent pas. Personne ne peut envoyer ses enfants à l’école. Il y a des snipers, la peur de mort. Personne ne jetterait son enfant dans le feu tout en conscience.
- Déjà avant la fermeture des écoles [avant les vacances d’été — donc avant bien avant ce dernier blocus] les enseignants nous appelaient pour nous dire « Venez chercher vos enfants. Ils ont lancé des lacrymos, on ne peut pas sortir. Venez prendre vos enfants ». C’était presque tous les jours.
- Ils ont fait quitter aux habitants leurs villages. Ils ont détruit et brulé les villages. Nous sommes venus nous installer dans ces quartiers. Ils ont l’air de dire, on a détruit vos villages, on va vous tuer. Ils nous laissent jamais tranquilles.
23:45
La demande des jeunes
Nous ne voulons pas que vous partiez. Si vous partez, il y aura encore la guerre. Peut être après les fêtes… Nous sommes encore des enfants, nous ne voulons pas mourir. Nous voulons vivre. Ils ne veulent rien faire pour nous. Nous en sommes sûrs. Et nous vous aimons beaucoup… Ne partez pas.