Ümmiye Koçak est née en 1957 près d’Adana dans le vil­lage Çelem­li. Elle est la six­ième d’une fratrie de dix enfants. Dans son vil­lage les petites filles n’étaient pas envoyées à l’école. Quand elle a atteint l’âge d’y aller, une cam­pagne pour la sco­lar­i­sa­tion des filles venait d’être lancée invi­tant chaque famille à choisir une fille et l’envoyer à l’école. Sa soeur, “choisie” par sa famille pour être celle qui devait faire des études, refu­sant la propo­si­tion, Ümmiye a donc pris volon­tiers sa place et le chemin de l’école.

Elle ne pour­ra pas con­tin­uer au delà de l’école pri­maire, mais avec le plaisir de savoir lire et écrire elle com­mencera à écrire des nou­velles dès son enfance. Ümmiye recon­nait aujourd’hui, que la lib­erté que sa famille lui a offerte a joué un rôle impor­tant pour garder et dévelop­per son iden­tité d’alphabètisée. Elle souligne aus­si l’influence qu’a eu sur elle le pre­mier livre qu’elle avait lu : “La Mère” de Gorki.

Ümmiye se marie et amé­nage à Arslanköy, un vil­lage de Mersin dans le sud du pays. Elle témoigne alors des vies de femmes qui tra­vail­lent la terre et qui pro­duisent, et des hommes qui ne quit­tent pas les tables du café du village.

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En 2001, elle assiste à une pièce de théâtre, jouée par une com­pag­nie venant de Tar­sus, ville voisine.

Voilà com­ment elle racon­te cette pré­cieuse rencontre :

J’ai dit aux femmes de mon vil­lage, « Allons au théâtre », per­son­ne ne m’a écouté. Alors j’y suis allée toute seule. Après la séance, je suis allée dans les couliss­es pour faire con­nais­sance avec les comé­di­ens. Quand un comé­di­en s’est présen­té en me dis­ant son prénom « Ahmet », j’étais éton­née. « Mais tout à l’heure dans la pièce on t’appelait Veli » lui demandai-je. Il m’a expliqué que Veli était le prénom de son per­son­nage. Là, une lumière s’est allumée dans ma tête. Je pou­vais trans­former mes pen­sées en une pièce de théâtre, faire com­pren­dre aux hommes de vil­lage leur com­porte­ment patriarcal ».

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Quand j’ai par­lé de mon pro­jet aux femmes, elles étaient con­tre. Elles m’ont dit, « du théâtre… et puis quoi encore, tu vas nous créer des ennuis ! » Mais j’ai insisté. Je leur ai expliqué qu’elles deve­naient des car­ac­tères dif­férents dans  dif­férents moments de leur vie quo­ti­di­enne. Je les ai con­va­in­cues qu’elles pou­vaient chang­er les gens, dont leur pro­pre mari, en pas­sant des mes­sages. Et nous avons com­mencé à tra­vailler. Il y a eu beau­coup de cri­tiques, ou des gens qui ont voulu nous décourager, mais nous avons con­tin­ué, beau­coup tra­vail­lé et réussi.

Suite à cette décou­verte elle se mit à tra­vailler pour utilis­er cet excel­lent out­il afin de dénon­cer les iné­gal­ités et mon­tr­er aux hommes leur pro­pres com­porte­ments machistes. Elle reprend donc sa plume et écrit les por­traits des femmes qu’elle côtoie au vil­lage, leurs expéri­ences et vécus. Ensuite elle fonde Arslanköy Kadın­lar Tiy­a­tro Toplu­luğu (La troupe de théâtre de femmes d’Arslanköy). Depuis env­i­ron 13 ans, cette troupe con­tin­ue de jouer et de tourner.

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Cette ana­toli­enne, femme rurale, épouse de 32 ans, maman de trois enfants, a écrit 11 pièces de théâtre, et plus de 500 fois brulé les planch­es. Ses pièces de théâtre ont atteint près de 30 milles spectateurs.

Son théâtre par­le essen­tielle­ment des prob­lèmes des femmes, et la rebel­lion con­tre le patri­ar­cat, mais cer­taines pièces trait­ent égale­ment de sujets envi­ron­nemen­taux comme le change­ment de cli­mat. Ses tal­ents lit­téraires et artis­tiques, ain­si que sa troupe ont été plusieurs fois récompensés.

Ümmiye anne” (maman Ümmiye) comme tout le monde l’ap­pelle, cherchera à s’exprimer au delà de la scène théâ­trale, et ten­tera le ciné­ma. Elle réalise le film “Yün Bebek” (Poupée de laine), qui racon­te la vio­lence des femmes sur les femmes, par le truche­ment de la bouche d’Elif, une fille “yörük” (nomades des mon­tagnes). Elle écrit le scé­nario, dirige le film, et elle endosse aus­si un rôle dans ce film tourné seule­ment avec des comé­di­ennes femmes.

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Yün Bebek, co-pro­duit par la Troupe du théâtre des femmes d’Arslanköyü et l’Association de Ciné­ma de Mersin, met 2 ans pour pren­dre forme en 2012. Les tour­nages se font sur les monts Tau­rus, dans des con­di­tions naturelles dif­fi­ciles, avec des tem­péra­tures qui descen­dent jusqu’au à ‑20° et la neige de 3,5 mètres.

La pre­mière du film se fait lors du Fes­ti­val “Altın Por­takal d’Antalya” et en 2013, au Fes­ti­val de films eurasiens de New York. Ümmiye Koçak est récom­pen­sée du prix “Eurasian Women In Cin­e­ma Award”.

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Kedis­tan n’ex­is­tant pas encore en 2013 nous ne risquions pas de vous com­mu­ni­quer cette belle aven­ture à l’époque. Mais puisque l’aven­ture ne s’ar­rête jamais avec “Ümmiye anne”, nous tenions à vous présen­ter le cock­tail explosif qu’elle est. Femme, comé­di­enne, scé­nar­iste, réal­isatrice, mère, “Ümmiye anne” est toutes ces per­son­nes à la fois, sans jamais per­dre sa vraie iden­tité de femme ana­toli­enne pur jus.

Il n’est donc pas éton­nant qu’au­jour­d’hui, une émis­sion de télévi­sion où elle fig­ure, qui par­le des “racines cam­pag­nardes” et per­met à des citadins de s’im­merg­er dans le quo­ti­di­en des champs fasse un tabac. Et ce d’au­tant que des pop­u­la­tions en grand nom­bre issue d’un exode rur­al récent vers les métrop­o­les s’y retrouvent.

Nous l’embrassons chaleureuse­ment sur les joues de cha­cune de ses dif­férentes identités.

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REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.