Fat­sa, com­mune d’Or­du est situé dans la région pré­cieuse de la Mer Noire, encore peu con­nue des touristes et très dif­férente du reste de la Turquie, avec de très beaux paysages, de hautes mon­tagnes de plus de 2000 mètres d’altitude, de nom­breuses plages désertes et d’im­menses forêts de hêtres et de sap­ins. Nous avions pub­lié un arti­cle en mai 2015 “Fat­sa : cya­nure con­tre nature” pour relay­er la résis­tance qui avait démar­ré depuis sep­tem­bre 2014 con­tre un pro­jet dévas­ta­teur d’ex­trac­tion d’or avec cya­nure. Cette résis­tance à Fat­sa est de fait une ZAD !

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Erdem Şimşek jour­nal­iste de Gaia, par­le de Fat­sa dans un nou­veau volet du jour­nal de bord d’une marche réal­isée par un groupe de mil­i­tants : “Yaşam Yol­cu­luğu” (Voy­age de Vie). Cette marche fut une ini­tia­tive de sou­tien à celles et ceux qui se bat­tent con­tre les pro­jets à sim­ple visée de  prof­its et dévas­ta­teurs de la nature un peu partout dans le pays, dont celui de Fat­sa… De grands pro­jets inutiles en quelque sorte, sauf pour les investis­seurs peu soucieux de l’environnement.

En sep­tem­bre, lors du périple de 2014, les marcheurs avaient déjà vis­ité Fat­sa. Ses habi­tants étaient alors au début de leur lutte con­tre la mine d’or. Mais cette année ils ne nous appor­tent pas de très bonnes nouvelles…

Le chantier avance à grande vitesse et la lutte s’est affaib­lie grâce à des straté­gies de manip­u­la­tions, de pres­sions divers­es et de ruses.

Les habi­tants par­lent des ani­maux sauvages empoi­son­nés volon­taire­ment, et par­lent d’un éventuel déplace­ment des cul­tures de noisettes vers la région de Mar­mara à l’Ouest du pays.

Erden, racon­te :

Manipulations ?

La dernière fois les habi­tants démar­raient leur com­bat et étaient  décidés et ent­hou­si­astes. Cette fois, nous avons trou­vé une “tente de résis­tance” dont les pan­car­tes sont déchi­quetées au couteau, avec quelques per­son­nes de garde à l’intérieur. J’avais lu et enten­du dans les médias locales tout au long de l’année qui s’est écoulée, des infor­ma­tions qui accu­saient les résis­tants. J’avais aus­si lu, un arti­cle qui relayait les dires d’une per­son­ne qui déclarait sous le titre de “Représen­tant du bureau d’Ordo des Ingénieurs des Métaux de Turquie”, que la cya­nure n’était pas du tout néfaste, et que la pop­u­la­tion locale était bernée. Quand je sur­v­ole le Face­book de cette per­son­ne, je décou­vre qu’elle est le pro­prié­taire de l’entreprise d’extraction d’or.
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Si je com­prends bien, la lutte à Fat­sa est affaib­lie par des manip­u­la­tions de ce genre et du fait que les résis­tants se retrou­vent divisés entre eux. Ils sont restés une poignée en dis­ant « Celui-là est alévi, celui-ci est mem­bre de tel par­ti de gauche, l’autre je ne sais quoi…. ». Les résul­tats non sat­is­faisants de la par­tie juridique de la lutte, et l’avancement du chantier, qui se rap­proche de sa final­i­sa­tion, sont des élé­ments qui font per­dre espoir.

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Destruction de la vie sauvage ?

Nous pas­sons notre pre­mière soirée en dis­cu­tant avec Cevat art et Ismet Atar devant la tente de résis­tance. Les pro­pos de Cevat sur la forêt sont par­ti­c­ulière­ment inquié­tants. Il pré­cise que des renards, hyènes, lap­ins grouil­laient dans la région, et qu’il ne reste plus que les san­gliers : « Ils les ont tous empoi­son­nés. Ces ani­maux ont été empoi­son­nés con­sciem­ment. Per­son­ne ne sait ça. Ici, les forêts sèchent. Je n’ai pas réus­si à com­pren­dre les raisons. On a demandé au Muhtar (pré­posé admin­is­tratif du vil­lage) de faire une requête admin­is­tra­tive à ce sujet. Il l’a fait. Cette fois-ci ils sont venus pour couper les arbres ! Au lieu de couper 170 arbres, ils en ont coupé 3.500, 4.000… »

Plus de noisettes dans la région de Mer Noire ?

Cevat souligne qu’une région de 100 km² sera affec­tée. « Quand le cya­nure sera util­isée l’année prochaine, per­son­ne n’achetera les noisettes récoltées sur ces ter­res. Ceci est affir­mé égale­ment par les com­merçants et les cham­bres de com­merce. Si on ne peut pas ven­dre notre récolte, on sera oblig­és de par­tir d’ici. Notre noisette apporte en un an, le béné­fice nation­al que cette entre­prise pour­ra apporter en 10 ans. Un respon­s­able de l’Université d’Ordo, a dit à la télé que la cul­ture de noisettes de Mer Noir, sera déplacée à la Région de Mar­mara. Selon cette info, la cul­ture de noisettes sera ter­minée pour nous. Com­ment peux tu obtenir la noisette d’Ordu et de Gire­sun vers la région de Mar­mara (ouest) ? »
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[NDLR : Pour com­pren­dre la grav­ité des dégâts que l’ex­trac­tion à la cya­nure causerait voici quelques chiffres (2013) : La Turquie est le pre­mier pays pro­duc­teur de noisettes au niveau mon­di­al. 91 % des noisettes turques sont achetées par les pays européens. La région de la Mer Noire pro­duit 99,3% des noisettes turques et Ordu les 18,4%. Comme pour le thé, un peu plus à l’Est , les pentes exposées à l’hu­mid­ité venant de la mer for­ment un “ter­roir” favorable]

Les métaux seront travaillés à Fatsa

« Dans cette por­tion les arbres de près de 200 hectares de forêt sont rasés » dit Ismet Atar. [NDLR : très pré­cisé­ment, 73 hectares de ter­res de cul­ture, 52 hectares de châ­taig­niers, et 62 hectares de hêtres]  « Ici, les 186 hectares sont réservés à l’extraction. Ils voulaient con­stru­ire 3 usines au début. Main­tenant ils veu­lent en faire 11. Le Min­istre d’Energie déclare que le métal extrait à Artvin sera traité à Sam­sun, mais non, bien évidem­ment qu’ils vont tout traiter ici. Nous n’arrivons pas faire com­pren­dre cela à la pop­u­la­tion. Les hommes du Préfet se baladent dans les rues, accom­pa­g­nés du per­son­nel de l’entreprise. C’est le Préfet qui a la main mise sur tout, même sur le juge qui a traité notre dossier. »
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Ismet ajoute que le la terre ici, ne sup­port­era pas toutes ces instal­la­tions, et qu’il existe aus­si un dan­ger de glisse­ment de ter­rain. En effet, les glisse­ments ont déjà sen­si­ble­ment ralen­ti l’avancement du chantier pen­dant l’hiver. Bien sur, le dan­ger de glisse­ment du ter­rain, est aus­si un gros risque pour que le cya­nure util­isé à l’extraction s’étende dans les ter­res alentour.

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Les femmes disent aux hommes « Si vous n’êtes pas capables de résister, allez vous en ! »

Ce jour d’action à Fat­sa, le 8 août, la tente de résis­tance est témoin d’un défilé de mil­i­taire digne d’une fête nationale. Les véhicules rem­plis de gen­darmes mon­tent vers l’aire d’extraction.

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L’action organ­isée par Ünye Fat­sa Doğa Koru­ma Plat­for­mu (Plat­forme de pro­tec­tion de la nature Ünye-Fat­sa) com­mence par une marche qui démarre au pied de la tente et qui se dirige vers le chantier.
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Devant le chantier, les man­i­fes­tants sont atten­dus par les mil­i­taires et les canons à eau. Les femmes sont au pre­mier rang comme dans qua­si toute lutte. Elles se tien­nent con­tre les bar­rières et elle pes­tent con­tre les gen­darmes qui se met­tent entre l’entreprise et les man­i­fes­tants. Nor­male­ment, l’action devrait con­tin­uer avec la lec­ture du com­mu­niqué à la presse et se pro­longer par un sit-in. Mais pen­dant que les slo­gans sont scan­dés, un des sol­dats avance et essaye d’arracher le dra­peau de la main d’une man­i­fes­tante et tout se pré­cip­ite. L’intervention des canons à eau s’en suit.

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Les femmes sont décidées « Si vous voulez par­tir, dis­ent-elles aux hommes, si vous êtes inca­pables de con­tin­uer, nous, les femmes, nous allons con­tin­uer. Chaque fois nous avançons et nous nous retirons, c’est quoi ça ? ». L’action se ter­mine mal­gré l’insistance des femmes, après une longue dis­cus­sion, par le retour des man­i­fes­tants à la tente.

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Fatsa a besoin de soutien

Nous nous sen­tons mal en quit­tant Fat­sa. Ici, tout est telle­ment con­fus,  les habi­tants ont l’air d’être per­dus, d’avoir oublié con­tre qui et quoi ils lut­tent. Ils sont comme un corps qui a per­du l’usage de ses bras et jambes. Le paysage illus­tre les paroles d’Ismet Atar : « Nous n’arrivons pas à faire com­pren­dre les vrais enjeux à toute la population ».
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Toute parole est insuff­isante à un moment où le pro­jet arrive à sa final­i­sa­tion.  Nous avons un bon exem­ple pour voir com­ment une cause qui n’a pas trou­vé l’écho qu’elle méri­tait, dont elle avait besoin dans l’actualité du pays, est restée dans le cadre local et étouf­fée par des pres­sions et manipulations.
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Si Fat­sa ne se débar­rasse pas des rochers qui s’entasse sur son dos, ses poids sous lesquels il s’est mis un peu mal­gré lui, il sera écrasé. Fat­sa a besoin d’un sou­tien large de l’opinion publique et il faut qu’avant tout les résis­tants se remobilisent.
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Pour l’instant la mine n’est pas encore passée en activ­ité. Nous avons vu un exem­ple de fer­me­ture d’une mine active à Arvin. Donc c’est possible !
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Il ne faut pas oubli­er que ce prob­lème n’est pas celui de Fat­sa seul, mais de toute la région de la Mer Noire et de toute la Turquie.
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Si Fat­sa qui se trou­ve au pied de la falaise, tombe, nous allons tous tomber avec. Ou, cha­cun fera ce qu’il peut dans son coin et nous allons faire demi tour devant l’abîme.

[Arti­cle et pho­tos : ©Erdem Şimşek]

Si vous voulez apporter votre sou­tien, vous pou­vez com­mencer par sign­er la péti­tion pour l’ar­rêt immé­di­at des travaux : ICI 

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.