Le soir des élec­tions du 7 juin, le Pre­mier Min­istre Davu­toğlu cri­ait “Vic­toire”, et la presse pro AKP rem­plis­sait les unes de louanges, mais la réal­ité est toute autre : L’AKP a régressé dans la majorité des villes de la Turquie.

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En résumé l’AKP a pu préserv­er sa posi­tion seule­ment dans les villes en vert sur la carte ci-dessus. Dans ces villes la baisse qu’on con­state ne va pas en dessous des ‑5% donc on peut con­sid­ér­er que l’AKP a gardé une cer­taine sta­bil­ité. (Bien qu’il faille con­sid­ér­er que les 2% d’ab­sen­tions sup­plé­men­taires par rap­port aux élec­tions précé­dentes, gon­fle d’au­tant les chiffres). Par con­tre, dans le reste du pays, c’est à dire plus de la moitié de la Turquie l’AKP a per­du jusqu’à ‑15% voire plus, de votes. Cette éva­po­ra­tion est plus mar­quée dans l’Anatolie cen­trale et sur la côté égéenne. La mis­ère que l’AKP a crée a joué cer­taine­ment dans ces résul­tats. Des mass­es qui ont témoigné depuis 13 ans, à la folie de grandeurs de Tayyip, devaient un moment ou autre mon­tr­er leur colère.

Pour l’AKP et Erdoğan qui se van­taient d’être « le pre­mier par­ti du pays », ce con­stat est ter­ri­fi­ant. Quelque soit la stratégie de l’AKP, coali­tion ou de nou­velles élec­tions, il doit pren­dre en compte la réal­ité de ce paysage. Si des appels à la rai­son inhab­ituels dans l’AKP tra­versent en ce moment le par­ti, une défaite encore plus fla­grante est red­outée en cas de retour aux urnes.

Ce qui est très vis­i­ble sur la carte sont les villes où l’AKP a per­du + de 15% de voix (rouge). Il s’agit là, des villes où la pop­u­la­tion kurde est très impor­tante. On con­state ‑17% à Erzu­rum, autour de ‑20% à Bat­man, Diyarbakır, Muş, Ağrı, Bingöl, Bitlis… Si on ajoute à ces derniers les baiss­es des 2 grandes villes de Turquie, Istan­bul avec ‑8% et Izmir ‑10%, il est pos­si­ble de dire que les kur­des ont tourné le dos à l’AKP.

L’AKP avait réus­si à tiss­er des liens avec un élec­torat kurde. Dans plusieurs villes de l’Est, il avait pu garder sa posi­tion, con­cur­rençait le HDP, grâce au lance­ment du « proces­sus de paix » avec les kur­des. Il avait même réus­si à dépass­er le HDP dans cer­taines villes. Après ce qui a été vécu à Robos­ki, à Kobanê, les aides aux islamistes, et les attaques vio­lentes lors de la dernière cam­pagne élec­torale, les kur­des n’ont pas eu du mal à faire leurs adieux à l’AKP. L’AKP a du pain sur la planche pour renouer avec les électeurs kur­des, obtenir leur sou­tiens et de nou­veau gag­n­er leur con­fi­ance. Les résul­tats des dernières élec­tions ayant légitimé le HDP, l’AKP n’a plus la pos­si­bil­ité de séduire les pop­u­la­tions kurdes.

l’AKP est aujourd’hui, un par­ti affaib­li, qui ne peut plus agir comme le par­ti unique. Mal­gré ce con­stat, il ne faut pas croire que l’ère de l’AKP est ter­minée. Ceci serait une analyse anticipée et erronée. Sou­venons nous qu’aucun des par­tis présen­tés aux pre­mières élec­tions qui ont suivi le coup d’Etat du 1980 n’avaient obtenu le nom­bre de voix que l’AKP a reçu. Ils n’ont même pas pu se rap­procher de ses résul­tats. Par ailleurs, ce n’est même pas la peine de le dire, mais dis­ons le, l’AKP n’est pas un sim­ple par­ti élec­toral, mais une insti­tu­tion bien organ­isée et étatisée. Il peut tout à fait récupér­er, et repren­dre le pou­voir en main, en jouant fin et filou, en ajoutant par petits pas stratégiques, en mis­ant sur les oppo­si­tions des trois autres partis.

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Les dirigeants de par­tis ont com­mencé à se ren­con­tr­er. Tout le pays est en attente. Plusieurs scé­nar­ios plus ou moins plau­si­bles sont vive­ment discutés.

Une par­tie des électeurs souhait­ent une coali­tion entre CHP, HDP et MHP, certes un peu con­tre nature qui fait penser à l’énigme “le loup-la chèvre-le chou”, mais qui espère une “remise en l’or­dre urgente” du pays en lais­sant Erdoğan avec les pou­voirs lim­ités que le rôle de Prési­dent de République lui per­met. Pour ces électeurs, la prise en main des dossiers de cor­rup­tion, la resti­tu­tion des insti­tu­tions abimées par l’AKP (comme la Jus­tice), la baisse du bar­rage élec­toral de 10% etc. font par­tie de ce “pack d’e­spoir”. Bien qu’une sim­ple majorité par addi­tion des trois com­posantes d’op­po­si­tion ne per­me­t­trait pas de revenir sur les révi­sions con­sti­tu­tion­nelles, pour lesquelles, de plus, les 3 par­tis ne seraient pas d’ac­cord entre eux.

D’autres voix cri­ent gare en pen­sant qu’Er­doğan n’at­tend qu’une chose, que les autres par­tis ne réus­sis­sent pas à créer un gou­verne­ment pour lancer de nou­velles élec­tions en cla­mant “Vous avez vu, ce sont des inca­pables !”.

Pour­tant ce n’est pas si sim­ple, les résul­tats du 7 juin, analysés de près mon­trent que les votes de l’AKP risquent bien de fon­dre encore plus en cas d’élec­tions anticipées, et d’un éventuel accord élec­toral en “coali­tion” des par­tis d’opposition.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.