En allant en cours de langue turque au cen­tre lin­guis­tique TÖMER de Kadiköy, j’avais remar­qué qu’un étu­di­ant sur trois env­i­ron venant d’Ukraine, était une femme, et vivait en Turquie après avoir con­trac­té un mariage avec un homme turc. Ce phénomène m’a suff­isam­ment intriguée pour que je décide de faire une inter­view pour Kedis­tan, afin de com­pren­dre pourquoi autant de femmes ukraini­ennes se mari­ent avec de Turcs.

Yev­ge­nia, Lara, deux femmes ukraini­ennes mar­iées à des Turcs et vivant en Turquie, ain­si que Eren, le mari de Yev­ge­nia, ont ten­té de com­pren­dre ce phénomène avec moi en par­lant ouverte­ment de leur sit­u­a­tion. Loin des clichés sur la femme occi­den­tale qui se marie avec le macho musul­man et devient sa ser­vante, Yev­ge­nia et Lara nous expliquent qu’en Ukraine les hommes ne tra­vail­lent pas ou peu, alors que les femmes ont la sen­sa­tion de porter toute la société sur leurs épaules. Elles dis­ent que c’est le sens des respon­s­abil­ités des hommes turcs qui leur plait, bien qu’elles n’aiment pas pour autant la vie en Turquie. Elles ne sont ni fémin­istes, ni anti-patri­ar­cales ni anar­chistes. La com­péti­tiv­ité ukraini­enne leur manque, elles veu­lent “réus­sir” dans la vie et, tout en étant heureuses de ne pas avoir à tra­vailler en Turquie, ne com­pren­nent pas du tout les con­cept de “keyif” si cher au Turcs. Elle trou­vent vrai­ment étrange cette douce attente turque, le regard per­du dans les vagues, un thé dans une mains et un chat sous l’autre (et en plus une cig­a­rette dans le coin de la bouche!) avec le désir de se sen­tir tran­quille (rahat).

Ce n’est donc pas pour par­ler de femmes lib­er­taires que j’ai fait cette inter­view, mais plutôt pour mon­tr­er la Turquie et l’Ukraine d’un point de vue dif­férent de ce qu’on lit générale­ment dans les médias français.

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Aurélie : Y a t‑il beau­coup de femmes ukraini­ennes mar­iées à des Turcs ? Selon vous pourquoi ?

Yev­ge­nia, Lara : Oui, beau­coup ! Déjà, à cause de la prox­im­ité géo­graphique ! Depuis la chute de l’Union Sovié­tique, la majorité des étrangers qui vien­nent en Ukraine sont des Turk­mènes et des Turcs. Ces 5 dernières années il y a surtout des Turcs qui vien­nent faire du com­merce, dans le secteur du tex­tile, en par­ti­c­uli­er. En Ukraine, le tex­tile vient de Chine ou de Turquie. Les hommes d’affaires turcs par­lent en général russe donc nous pou­vons com­mu­ni­quer avec eux facile­ment. Ils vien­nent dans les bars, et ne sont pas aus­si hau­tains que les Européens. Ils ne nous con­sid­èrent pas comme des inférieures. Et puis, beau­coup d’Ukrainiens con­nais­sent de toutes façons déjà la Turquie car on peut y aller en vacances sans visa. En fait, on peut rester 90 jours avec un visa touris­tique gra­tu­it. Comme il y a une crise économique en Ukraine, nous par­tons en général en vacances en Turquie ou en Egypte car ce n’est pas très cher. Ca coûte le même prix que de par­tir à la mer en Crimée, qui est froide et sale, alors qu’en Turquie, à Antalya, à Bodrum, la mer et chaude et belle. Donc si on a un petit peu d’argent on n’hésite pas ! En plus en Turquie il y a des struc­tures pour nous. A Antalya il y a par exem­ple des écoles en langue russes.

Yev­ge­nia : D’après moi il y a deux caté­gories de femmes ukraini­ennes qui se mari­ent avec des hommes turcs…

Les femmes de la pre­mière caté­gorie, qui représen­tent env­i­ron les 95%, sont des femmes issues de milieux mod­estes qui ne veu­lent pas tra­vailler comme des folles pour gag­n­er un salaire de mis­ères en Ukraine. Elles se mari­ent avec des Turcs pour avoir une vie meilleure, afin de pou­voir arrêter de tra­vailler. Imag­inez que ces femmes n’ont jamais eu les moyens de voy­ager, ou très peu. Elles n’ont pas les moyens de sor­tir, de s’amuser, elles n’ont par­fois même pas les moyens de faire un passe­port. Et la sit­u­a­tion s’est empirée ces derniers temps, avec l’inflation dûe à la guerre. Avant, un bil­let aller retour entre la Turquie et l’Ukraine coû­tait un salaire men­su­el ukrainien, main­tenant c’est deux salaires. Le salaire min­i­mum en Ukraine se situe actuelle­ment en 50 et 100 dol­lars. Donc les hommes d’affaires turcs qui vien­nent en Ukraine parais­sent rich­es. Ils le sont par rap­port à la majorité des Ukrainiens, mais par­fois pas autant que les femmes ukraini­ennes ne l’imaginent. En venant en Turquie elles décou­vrent que leurs époux vivent très nor­male­ment, dans des apparte­ments de ban­lieue, mais sans plus. Bien sur, elles sont par­fois un peu déçues.

Et puis il y a les 5% restantes, caté­gorie à laque­lle nous appartenons moi et Lara. Nous sommes des femmes qui n’arrivent pas à trou­ver de mari cor­rects en Ukraine ! Nous avions de bons jobs en Ukraine, des apparte­ments et des voitures mais nous étions vouées au céli­bat car nous ne trou­vons pas d’homme avec qui faire des enfants. A 35 ans nous avons décidé de fonder des familles, mais les hommes ukrainiens sont de très mau­vais pères de famille. Nous auri­ons pu fonder des familles toutes seules, c’est la nou­velle mode. Non pas parce que les hommes s’en vont mais parce que les femmes les met­tent dehors ! C’est ce que je pen­sais faire avant de ren­con­tr­er Eren.

Aurélie : Pourquoi trou­vez-vous que les hommes sont de mau­vais père de famille ? 

Yev­ge­nia, Lara : Les hommes ukrainiens ne nous con­tentent pas ! Ils sont paresseux et alcooliques. Les femmes ukraini­ennes sont fortes, tra­vail­lent bien plus que les hommes, ne veu­lent pas se mari­er parce qu’elles ont leurs pro­pre busi­ness, gag­nent leur vie par elles-mêmes et ne désirent donc pas s’occuper d’un homme alcoolique. Par con­tre, elles désirent avoir des enfants, et il arrive donc sou­vent qu’elles fassent des enfants seules parce qu’elles ne veu­lent pas tra­vailler pour tout le monde. Les hommes ukrainiens atten­dent sou­vent de ren­con­tr­er une femme riche pour se mari­er. Les femmes en ont marre de cette sit­u­a­tion, de tout porter sur leurs épaules, de ramen­er l’argent à la mai­son, s’occuper des enfants, du ménage, de la cui­sine, et en plus de s’occuper d’un homme qui se com­porte comme un enfant de plus. Et puis, les hommes com­men­cent aus­si à avoir peur de nous car nous sommes dev­enues des femmes fortes et volon­taires, ils ne peu­vent pas rivalis­er avec nous et donc nous craig­nent. Ils veu­lent de nous que pour se faire entretenir. La psy­cholo­gie mas­cu­line n’était pas comme cela à l’époque sovié­tique. A cette époque ils étaient des chas­seurs qui rap­por­tant à manger à leur famille, main­tenant c’est tout l’inverse.

Les hommes turcs sont très dif­férents. Ils nous pro­posent directe­ment le mariage. Ils sont sérieux et roman­tiques. Ils pren­nent des respon­s­abil­ités. En plus, ils nous pro­posent sou­vent de ne pas tra­vailler ! En Ukraine nous devions tra­vailler pour tout le monde alors qu’on aime s’amuser.

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Aurélie : Mais pourquoi en Ukraine les hommes tra­vail­lent-ils moins que les femmes et sont sou­vent alcooliques ?

Yev­ge­nia, Lara : Parce qu’ils peu­vent se le per­me­t­tre ! En Ukraine il y a plus de femmes que d’hommes, ce qui crée une ter­ri­ble con­cur­rence entre les femmes. Elles font des régimes, vont au salon de beauté, sont apprêtées tout le temps, même pour aller sor­tir les poubelles. Les hommes atten­dent à la mai­son de trou­ver un bon boulot, ils ne veu­lent pas faire de mau­vais tra­vails qu’ils lais­sent aux femmes. Ils dis­ent qu’ils veu­lent être busi­ness­man ou rien, et que les boulots dans les secteurs du ser­vice, du net­toy­age ou de la vente sont des travaux de femmes. J’étais d’ailleurs très éton­née en Turquie de voir des hommes exercer le tra­vail de garçon de café. Chez nous la grande majorité des serveurs sont des femmes.

Eren : Ici, en Turquie, si je ne tra­vaille pas pour sub­venir aux besoins de mon épouse, si elle m’entretient et que je passe ma journée à boire se sera une honte aux yeux de ma famille, des voisins, de mes amis. Per­son­ne ne me lais­sera tran­quille ! Il est même pos­si­ble que le pro­prié­taire décide de me vir­er de mon apparte­ment parce que les voisins diront qu’ils ne veu­lent pas d’un indi­vidu comme moi dans l’immeuble. Tous le monde se con­naît, c’est ce qu’on appelle « la pres­sion du quarti­er » (mahalle baskısı). Alors qu’en Ukraine les hommes peu­vent se faire entretenir facile­ment sans que la société ne les exclue pour autant.

D’après moi, il y a aus­si autre chose. Avec la chute de l’Union Sovié­tique la cul­ture occi­den­tale a com­mencé à pénétr­er en Ukraine par le biais des médias. Les femmes ukraini­ennes, en voy­ant les star­lettes améri­caines ont remar­qué qu’elles n’avaient rien à leur envi­er parce qu’elles sont elles-mêmes très belles et tal­entueuses. Elles ont donc décidé de faire car­rière. Elles ont com­mencé à faire atten­tion à leur apparence, à appren­dre des langues étrangères, à désir­er une meilleure vie. Les hommes n’ont apparem­ment pas vécu le même phénomène.

Aurélie : Vous dites que vous préférez ne pas tra­vailler ? Vous ne vous ennuyez pas à la maison ?

Yev­ge­nia : Non ! On sort entre copines, on vis­ite tout Istan­bul. On fait des pique-niques, on boit des bières sur des ter­rass­es. On a déjà telle­ment tra­vail­lé dans nos vies que ça nous suf­fit ! Regarde moi, et Lara, toutes les deux nous étions pro­fesseurs d’économie à l’Université, en Ukraine. C’est un très bon job mais ça ne nous manque pas. On préfère vis­iter et s’amuser. En puis, de toutes façons c’est dif­fi­cile pour nous de tra­vailler ici car nous ne voulons pas pren­dre la nation­al­ité turque. En restant étrangère c’est pas tou­jours évi­dent de trou­ver un tra­vail en Turquie. Mais si nous prenons la nation­al­ité tuque nous per­dons la nation­al­ité ukraini­enne car le sys­tème ukrainien (con­traire­ment au sys­tème russe) ne nous per­met pas d’avoir une dou­ble nation­al­ité, il faut choisir. Donc nous n’avons pas déclaré notre mariage en Ukraine. Ici nous sommes mar­iées, mais en Ukraine, offi­cielle­ment, nous sommes célibataires.

Aurélie : Et pourquoi beau­coup d’hommes Turcs se mari­ent avec des femmes ukrainiennes ? 

Eren : Parce qu’elles sont superbes ! Par exem­ple, la plu­part de mes amis céli­bataires me deman­dent de leur présen­ter des femmes ukraini­ennes, par l’intermédiaire de Yev­ge­nia. Pas pour s’amuser, mais pour se mari­er ! Ils en n’ont marre des femmes turques qu’ils trou­vent capricieuses et hys­tériques. Bien sûre, c’est aus­si parce que les Ukraini­ennes sont belles, mais ce n’est pas la seule rai­son. Les femmes turques veu­lent vivre au dessus de leurs moyens. Elles veu­lent vivre au cen­tre ville, dans un apparte­ment neuf, acheter des meubles neufs, voy­ager en Europe. Les femmes turques ont peur de voy­ager en Iran, en Russie, en Ukraine… Elles pensent qu’il n’y a rien à y faire, que ce sont des pays dan­gereux. Elles veu­lent par­tir en vacances à Paris, à Rome, à Lon­dres. Elles ont un com­plexe vis-à-vis de l’Europe. Mais ces voy­ages coû­tent très chers et nous ne pou­vons pas les leurs offrir. Et puis elles ne veu­lent plus cuisin­er, elles veu­lent com­man­der à manger sur Inter­net. Avant de pou­voir vivre quelque chose avec elles il faut les cour­tis­er longtemps, dépenser beau­coup d’argent. C’est d’ailleurs injuste car lorsqu’elles sont en voy­age en Europe elles vivent facile­ment des aven­tures car elles se sen­tent plus libres avec des Européens. Les femmes ukraini­ennes ne sont pas comme cela. Elles se con­tentent de peu. Elles veu­lent juste un apparte­ment, mais n’importe quel quarti­er leur con­vient. Elles dépensent peu et sont con­tentes du stan­dard de vie que nous pou­vons leur offrir.

Yev­ge­nia, Lara : Nous aimons les hommes turcs car nous les trou­vons roman­tiques. Mais les Ukrainiens se fâchent con­tre nous, ils nous deman­dent pourquoi nous épousons des étrangers, en plus musul­mans. Ils dis­ent que les Turcs leurs volent leurs femmes. Mais ce n’est pas ain­si. Ce n’est pas mon prob­lème si les hommes Ukrainiens ne se com­por­tent pas bien, s’ils ont des atti­tudes vul­gaires alors que les Turcs font atten­tion à nous. Bien sûre, nos familles ont des préjugés con­tre les musul­mans et n’étaient pas très heureuses de notre choix au début, mais ils se sont habitués.

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Aurélie : Com­ment vous-sen­tez vous en Turquie ? Quels sont les aspects que vous aimez, et ceux que vous n’aimez pas…

Yev­ge­nia : On aime la mer. On aime nos maris. On aime la cul­ture hos­pi­tal­ière des Turcs. Ca n’est comme en Ukraine. Lorsqu’on a des invités on pré­pare à manger pen­dant des heures pour leur faire honneur…

Nous n’aimons pas le sys­tème sco­laire. Ici les bonnes écoles coû­tent cher. Nous ne voulons pas met­tre nos futurs enfants dans des écoles d’Etat en Turquie car ils auront des cours de reli­gion. En Ukraine, l’Etat et la reli­gion sont des insti­tu­tions séparées et il n’y a pas de cours de reli­gion à l’école. Nous voulons que nos enfants choi­sis­sent leur reli­gion à l’âge adulte, mais il est hors de ques­tion qu’ils suiv­ent des cours de reli­gion à l’école.

Lara: En Turquie nous n’avons pas con­fi­ance au sys­tème de san­té. Ici les médecins ne savent rien ! Dans les hôpi­taux privés peut-être, mais ils sont trop chers. Dans les hôpi­taux publics nous n’arrêtons pas de nous dis­put­er avec les médecins. Ils n’ont pas de temps pour nous, font tout à la va-vite sans rien expli­quer. En Ukraine, lorsqu’une femme est enceinte elle va toutes les semaines à l’hôpital. Il y a un suivi con­stant. Ici ce n’est pas le cas. Les médecins turcs nous dis­ent « tout va bien, tout va bien » et ne procè­dent à aucun suivi sérieux. Une de nos amies a fait une fausse couche récem­ment alors que les médecins turcs lui avaient dit qu’il n’y avait pas de prob­lème, que tout allait bien. Aus­si, en Ukraine il y a eu Tch­er­nobyl, donc pour nous le risque d’avoir des prob­lèmes durant la grossesse et accen­tué, mais les médecins turcs ne com­pren­nent pas cela. (NDLR : La Turquie, comme d’ailleurs la France, même à moin­dre mesures, a aus­si été sèvère­ment touchée par le nuage de Tch­er­nobyl dont les autorités français­es dis­aient qu’il s’é­tait arrêté à la fron­tière. Toutes les plan­ta­tions de thé de la Mer Noir ont été con­t­a­m­inées et Kaz­im Koyun­cu, le célèbre chanteur laze, est mort d’un can­cer des suites de Tch­er­nobyl).

Yev­ge­nia : Et puis en Ukraine on s’amusaient beau­coup plus ! Là-bas il y a des salons de beauté, on y va tout le temps. Mais en Turquie c’est trop cher et la qual­ité est mau­vaise. En Ukraine on fai­sait du sport, on lisait des livres, on allait à des cours de macramé, de tram­po­line, de piano, de gui­tare, de nata­tion, de danse, et on fai­sait des con­cours inter­na­tionaux. Les enfants ukrainiens font des con­cours inter­na­tionaux de nata­tion. Là-bas, par­ticiper à des com­péti­tions est un phénomène nor­mal et très courant. Ici les enfants vont à l’école, n’ont presque pas de leçons, et regar­dent la télé !

Lara : Ici, si l’on a des enfants, les autres par­ents à l’école nous cri­ti­queront. Ils ne voudront peut-être pas que leurs enfants fréquentes les nôtres. Ils ont des préjugées con­tre les femmes russ­es et ukraini­ennes, ils pensent que nous sommes des femmes de mau­vais­es mœurs. Donc, quand j’aurai un enfant je l’enverrai dans un inter­nat en Ukraine. Il me man­quera, bien sur, mais je ne veux pas qu’il ait une édu­ca­tion turque. J’irai lui ren­dre vis­ite sou­vent. C’est mieux comme cela. En fait oui, je veux un enfant ukrainien, pas un enfant turc !

Aurélie : Mais vous n’avez pas dit que les hommes turcs étaient beau­coup mieux que les hommes ukrainiens ? Pourquoi voulez-vous donc don­ner une édu­ca­tion ukraini­enne à vos enfants ?

Les Ukrainiens sont plus cul­tivés et beau­coup plus ambitieux! Les enfants turcs sont trop gâtés et capricieux. Ils pleurent dans la rue. En Ukraine on ne leur per­met pas cela, on se fâche s’ils font des caprices. Et aus­si, en Ukraine les enfants ne man­gent pas avec nous, quand il y a des invités. Ils man­gent dans une pièce à part, ain­si on peut boire, fumer, s’amuser, sans leur don­ner un mau­vais exem­ple ni être dérangé par leur bruit et leurs jeux. On éduque les enfants à la dure pour qu’ils devi­en­nent ambitieux et réus­sis­sent dans la vie. En Ukraine il y a la pos­si­bil­ité de vis­iter le monde en devenant des sportifs. Il y a des con­cours de tout en Ukraine. Des con­cours de manu­cure, de beauté, même de beauté pour les chiens. Ici on a d’ailleurs vécu un choc esthé­tique ! Les femmes ne font pas atten­tion à elles. Seules les femmes qui tra­vail­lent dans des bureaux s’habillent bien. Le soir, la majorité des femmes que nous voyons ne por­tent pas de talons hauts ni mini­ju­pes. C’est inimag­in­able pour nous.

Mais les hommes turcs font atten­tion à eux, con­traire­ment aux hommes Ukrainiens. En Ukraine, les hommes qui pren­nent soins d’eux sont taxés d’homosexuels. C’est nor­mal pour nous que les hommes ressem­blent à des singes. On pense que c’est vir­il, et que c’est la nature de l’homme. Mais en Turquie les hommes pren­nent soin d’eux, et en fait ça leur va bien.

Eren : Là-bas il y a beau­coup d’artistes, de sportifs, d’intellectuels. Ici elles ne retrou­vent pas cela. Les Ukrainiens sont très cul­tivés et aiment la con­cur­rence, les Turcs aiment le plaisir, la famille, boire du thé sur les ter­rass­es en regar­dant le paysage. C’est différent.

Yev­ge­nia, Lara : C’est vrai ! Pour les femmes, en Ukraine, l’important c’est d’avoir un but. En Turquie les gens veu­lent vivre « tran­quille », sans stress ! Pour nous le stress n’est pas un prob­lème, c’est au con­traire néces­saire. On ne veut pas vivre tran­quille­ment. On veut réus­sir quelque chose, acheter un apparte­ment, devenir célèbre, ou quelque chose comme ça.

On a aus­si du mal à se faire des amies. Les femmes turques ne veu­lent peut-être pas devenir nos amies, elles restent à dis­tance. Peut-être que l’amitié est quelque chose de dif­férente en Turquie… On n’a pas encore trou­vé de méth­ode pour se faire des amis turcs. Comme on ne tra­vaille pas on ne peut pas par­ler de notre tra­vail, on n’a pas encore d’enfant, on ne s’intéresse pas à la poli­tique turque donc on n’a pas de sujet de conversation !

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Aurélie : A terme, penser vous rester en Turquie ou retourn­er en Ukraine, si l’occasion se présente ? 

Lara : Je voudrais ren­tr­er en Ukraine.

Yev­ge­nia : Moi je com­mence à m’habituer. Lorsque je vais en vacances en Ukraine la Turquie me manque. Je me sens un peu déchirée entre deux cul­tures. Quand je suis en Ukraine, je ne me sens plus chez moi, mais ici je ne me sens pas encore vrai­ment chez moi. Je ne sais pas vrai­ment si j’ai gag­né ou si j’ai per­du quelque chose en venant ici. Peut-être que je préfér­erai ren­tr­er en Ukraine… Mais ces temps je n’aime plus l’Ukraine, à cause de la guerre.

Eren : Moi aus­si je voudrais vivre en Ukraine avec Yev­ge­nia. On va essayer.

Bien que je sois turc je préfère la vie en Ukraine. Les gens y sont plus cul­tivés, mais ne nous regar­dent pas de haut comme les Européens. J’aime la nature, l’architecture, la cul­ture et la cui­sine ukraini­enne. Je me sens mieux là-bas. Ici il n’y a pas de règles urban­is­tiques, c’est pour cela que les villes sont chao­tiques. Là bas il y a des parcs gigantesques.

Aurélie : Que pensez-vous de la guerre en Ukraine ?

Yev­ge­nia, Lara : On est pris en étau dans une guerre d’influence entre les Russ­es et les Occi­den­taux. C’est dra­ma­tique. Ils nous instrumentalisent.

Nous, nous sommes des Ukraini­ennes de l’est, d’origine russe. Nous avons d’ailleurs de la famille en Russie. Il est vrai que notre cul­ture, notre langue, notre cui­sine sont dif­férentes de celles des Ukrainiens de l’Ouest. Nous sommes dif­férents, mais ce n’est pas une rai­son pour nous bat­tre. Nous ne soutenons aucun des deux côtés. Cette guerre n’est pas la guerre du peu­ple. Le peu­ple a plus de préoc­cu­pa­tion économique que de préoc­cu­pa­tions idéologique, il veut vivre mieux, c’est tout. La guerre est a 200 kilo­mètres de chez nous, max­i­mum. C’est très proche. Dans notre région, la plu­part des gens sou­ti­en­nent le camp pro russe. Enfin, c’est un prob­lème iden­ti­taire com­plexe, un peu comme ce que vivent les Kur­des ici…

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Aurélie Stern pour Kedistan

Auteur(e) invité(e)
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AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…