A Rasim­paşa, par­mi les nom­breux cafés qui ont fleuri après les man­i­fes­ta­tions du Parc Gezi en 2013, il en est un dont on par­le par­ti­c­ulière­ment. C’est le Komşu Kafe, le Café des voisins. Dans ce café tout est à prix libre, on se sert soi-même et l’on peut venir y cuisin­er quand on veut. Il y a aus­si des soirées thé­ma­tiques où l’on peut venir goûter de la cui­sine d’un pays en par­ti­c­uli­er. Afin d’en savoir plus, nous avons demandé à l’équipe du café de bien vouloir répon­dre à une inter­view, ce qu’ils ont accep­té après avoir obtenu la promesse que l’article leur serait mon­tré préal­able­ment afin d’éviter tout malen­ten­du. Voilà ce qu’ils nous on expliqué.

La nais­sance de Komşu Kafe

Nous avons ouvert le café en décem­bre 2013. Nous étions tous mem­bres de Göç­men mut­fağı dayanış­ma (La cui­sine de sol­i­dar­ité aux migrants). C’est un lieu de sol­i­dar­ité à Tar­labaşı (quarti­er en pleine gen­tri­fi­ca­tion proche de Tak­sim) où avec les riverains, on se retrou­ve pour cuisin­er, manger ensem­ble, échang­er … Tout y est gra­tu­it, le but étant de créer un espace de ren­con­tre autour d’une activ­ité col­lec­tive, la cui­sine. La sit­u­a­tion de l’accès au tra­vail pour les migrants et le sujet de l’économie alter­na­tive y étaient régulière­ment discutés.

Pen­dant l’été 2014, les organ­isa­teurs du fes­ti­val Soli-Kent (ancien fes­ti­val Rock‑A) ont pro­posé à Mut­fak de pren­dre en charge les repas durant le fes­ti­val et d’utiliser l’argent récolté pour le fonc­tion­nement de Mut­fak. Il a finale­ment été décidé de prof­iter de cette occa­sion pour ten­ter l’expérience d’un col­lec­tif tem­po­raire. Nous étions donc 22 per­son­nes pen­dant 6 jours à tra­vailler sur le fes­ti­val, à pren­dre les déci­sions au con­sen­sus et l’argent récolté a été partagé équitable­ment entre tous les participants.

Au retour du fes­ti­val, une par­tie de ce groupe (réduit au de nom­bre de 7) a décidé de pro­longer l’expérience et de créer un nou­veau col­lec­tif. Ain­si est né le Komşu Kafe.

Buts, principes et fonctionnement

Le Komşu Kafe est un col­lec­tif sans hiérar­chie ni patron, basé sur une économie alter­na­tive. Nous prenons toutes nos déci­sions en con­sen­sus et avons beau­coup dis­cuté dés l’établissement de principes com­muns tels que l’anti-sexisme et l’anti-discrimination. Par ailleurs, nous avons aus­si mis en place le fonc­tion­nement des prix libres. Avec les prix libres, nous lais­sons aux gens la pos­si­bil­ité de décider eux-mêmes com­bi­en ils veu­lent don­ner en fonc­tion de leurs moyens, et en fonc­tion de com­bi­en ils ont appré­cié ce qu’ils ont con­som­mé. L’idée est d’être en rup­ture avec le sys­tème tra­di­tion­nel offeurs/acheteurs et de partager la respon­s­abil­ité de la péren­nité du lieu.

Nous voulons réfléchir ensem­ble à cer­taines ques­tions comme « quel est l’essence du cap­i­tal­isme ? Est-ce l’argent, le tra­vail salarié ou l’accumulation du cap­i­tal ? ». Nous pen­sons que nous ne pou­vons pas mesur­er la valeur d’une chose par son prix. Nous voulons par­ler de la bal­ance entre le prix et la valeur. De plus, si nous vivons en col­lec­tif de manière non autori­taire nous ne pou­vons pas impos­er les prix. Quand il arrive que des gens ne paient pas, nous ten­tons de dis­cuter avec eux, d’établir une con­nex­ion et de réfléchir ensem­ble. Nous avons tout de même des sug­ges­tions quant aux prix pour ori­en­ter les gens sans leur met­tre la pression.

La cui­sine est aus­si ouverte. Les gens peu­vent venir cuisin­er avec nous quand ils veu­lent. Par exem­ple aujourd’hui cinq per­son­nes sont venues nous don­ner un coup de main. Il n’y a pas de ser­vice en salle non plus, les gens se ser­vent eux-mêmes puis s’adressent à nous pour le paiement.

Toutes les per­son­nes tra­vail­lant au Komşu Kafe sont mem­bres du col­lec­tif. Une par­tie de l’équipe est com­posée de migrants. Dans la mesure où, dans le sys­tème économique turc, ils ont moins de chances que d’autres de s’intégrer économique­ment (ils sont sou­vent sous-payés et exploités), appartenir au col­lec­tif leur donne l’opportunité de gag­n­er leur vie comme il se doit. Pour être mem­bre du col­lec­tif il y a trois mois d’essai, afin d’être sûre que nous parta­geons les mêmes idées et pou­vons tra­vailler ensem­ble. Pen­dant cette péri­ode, les nou­veaux venus ont exacte­ment les mêmes droits de déci­sions que les autres.

Nous sommes con­scients que dans le sys­tème économique actuel, nous avons tous besoin d’argent pour pay­er les loy­ers, les den­rées, etc. mais nous avons voulu con­cili­er notre manière de gag­n­er de l’argent avec nos valeurs et nos principes. C’est la rai­son pour laque­lle nous n’avons pas choisi un sys­tème de troc et con­servé l’argent comme mon­naie d’échange. Nous pen­sons effec­tive­ment que l’argent n’est pas un prob­lème en soit. En revanche il vaut la peine de réfléchir à la manière dont il est gag­né (exploita­tion…) et dont il est répar­ti (accu­mu­la­tion du cap­i­tal, partage iné­gal des richesses…).

Prove­nance des produits

Nous ten­tons de ne pas acheter la nour­ri­t­ure avec laque­lle nous cuisi­nons dans des super­marchés mais plutôt dans des com­merces locaux, à d’autres col­lec­tifs ou à des coopéra­tives achetant les ali­ments directe­ment à l’agriculteur tels que Yeryüzü derneği (l’Organisation « la Terre ») qui est une sorte d’organisation de con­som­ma­teurs, à Kadiköy.

Il nous arrive encore d’acheter cer­tains pro­duits de base peu cou­teux au super­marché mais nous ten­dons à réduire leur nombre.

Couleur poli­tique

Nous ne revendiquons pas de couleur poli­tique. Nous tenons à nos principes et à leur appli­ca­tion sans revendi­quer d’appartenance poli­tique. Notre exis­tence même a valeur politique.

Gen­tri­fi­ca­tion

Con­cer­nant la gen­tri­fi­ca­tion, c’est un proces­sus dont nous sommes con­scients depuis longtemps. Nous sommes le pre­mier café à avoir ouvert ici et je crois que main­tenant il y en a une ving­taine. C’est en étant con­scient de ce phénomène que nous avons choisi le nom Komşu Kafe (le café des voisins), pour axer sur la cul­ture de prox­im­ité. Nous assis­tons aux change­ments qui ont lieu à Rasim­paşa mais nous ne savons pas très bien ce que nous pou­vons y faire. En effet, il ne s’agit pas d’un proces­sus décidé par le haut auquel nous pou­vons nous oppos­er en man­i­fes­tant. Cela dit, nous souhaitons garder le sujet ouvert avec les gens du quartier.

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Sol­i­dar­ité avec d’autres projets

Nous essayons aus­si d’apporter un sou­tien aux pro­jets d’autres organ­i­sa­tions comme le nou­veau col­lec­tif qui fait du pain à Burgaza­da, Kazo­va (une entre­prise de tex­tile dont les ouvri­ers ont acheté les machines et pro­duisent à présent sans patron) ou encore Kadar-Kıs­met, un col­lec­tif qui pro­duit des vête­ments et des sten­cils.

Il y a aus­si dans le café une étagère où divers col­lec­tifs ou per­son­nes indi­vidu­elles peu­vent ven­dre leurs pro­duits. Nous organ­isons aus­si par exem­ple des ker­mess­es, notam­ment à Don Qui­chotte (le squat­te d’à côté). Nous essayons d’être tou­jours en con­nex­ions avec les dif­férents groupes existants.

Aurélie Stern pour Kedistan

komsu kafe 5

Komşu Kafe
Uzun Hafız Sk, 83/A
tél : (90) 216 418 46 79
Page face­book du Kom­su Kafe

 

Auteur(e) invité(e)
Auteur(e)s Invité(e)s
AmiEs con­tributri­ces, con­tribu­teurs tra­ver­sant les pages de Kedis­tan, occa­sion­nelle­ment ou régulièrement…