La Turquie a démar­ré ce mar­di 14 avril dans le sud du pays la con­struc­tion de sa pre­mière cen­trale nucléaire, un pro­jet d’en­ver­gure de 19 mil­liards d’eu­ros mené par la Russie et qui devrait entr­er en ser­vice en 2020 mal­gré l’hos­til­ité des écologistes.

Le min­istre turc de l’En­ergie Tan­er Yıldız et le chef de l’a­gence russe de l’én­ergie atom­ique (Rosatom) Ser­gueï Kirienko ont par­ticipé à la céré­monie d’ou­ver­tures sur le site d’Akkuyu. Com­posée de qua­tre réac­teurs, la cen­trale d’Akkuyu sera dotée d’une puis­sance de 4.400 MW. La cen­trale sera opéra­tionnelle pen­dant min­i­mum 60 ans mais Kirienko et  Yıldız affir­ment être con­va­in­cus que la cen­trale fonc­tion­nera bien au delà de ce délai. Avec la phase de con­struc­tion d’en­v­i­ron 10 ans, ils pensent que la Turquie et la Russie sont liés pour 100 ans.

Le dis­cours du Min­istre de l’En­ergie se voulait très ras­sur­ant. Il a pré­cisé que le con­cept de cette cen­trale est conçu pour résis­ter ‑que le Dieu pro­tège– aux séismes de force 9, ain­si qu’aux crashs d’avion et aux fortes rafales. Mehmet Yıldız a annon­cé que la cen­trale aura un impact impor­tant, non seule­ment dans la pro­duc­tion d’électricité, mais égale­ment dans l’industrialisation, en créant 10.000 emplois durant l’étape de con­struc­tion étalée sur dix ans. Il a égale­ment souligné ce point important :
“Il n’ex­iste pas de pays civil­isé, sans énergie nucléaire.”

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Voici quelques réal­ités sur Akkuyu. Ser­rez les dents…

  • Mersin, ville de Méditer­ranée se trou­ve non loin d’une faille sis­mique. Sym­pa non ? (On vous promet que Fukushi­ma à côté ce sera de la rigolade !)
  • L’entreprise Roas­tom est aus­si celle respon­s­able de la cat­a­stro­phe de Tch­er­nobyl. (Encore plus cool !)
  • Le rap­port des effets envi­ron­nemen­taux” (ÇED — Çevre Etki Değer­lendirme) a été présen­té avec une fausse sig­na­ture, et a été accep­té dans un délai beau­coup trop court, sans être étudié. La déci­sion déclarée, comme par hasard, juste avant la vis­ite de Poutin. De plus, le pro­jet n’a pas été entériné jusqu’i­ci à l’Assemblée Nationale. Six procès qui pointent dif­férentes illé­gal­ités du pro­jet suiv­ent actuelle­ment leur cours.
  • La part des Russ­es ne peut pas descen­dre en dessous des 51%, donc cette cen­trale n’ap­par­tient pas à la Turquie. C’est bien la pre­mière cen­trale au monde qui se trou­ve dans un pays, mais qui appar­tient à un autre.
  • Akkuyu est l’u­nique pro­jet de cen­trale nucléaire con­stru­it avec les principes « celui qui fait l’offre le moins cher emporte le pro­jet» et «  paie, pos­sède, exploite ». Ce qui se traduit par des efforts de réduc­tions de toutes sortes de coûts, aus­si bien sur la con­struc­tion que sur la sécurité.
  • Un nou­veau mod­èle de réac­teur sera util­isé pour Akkuyu. Il n’a jamais été testé nulle part ailleurs.
  • La Turquie n’a pas de per­son­nel pour inspecter le tra­vail des Russ­es, ni exiger des critères de qual­ité. Le gou­verne­ment ne fait que de vagues déc­la­ra­tions du genre « Ce sera la cen­trale la plus sécurisée au monde ».
  • Les autorités don­nent de beaux exem­ples de cen­trales nucléaires ailleurs, mais passent sous silence le fait que plusieurs pays, notam­ment européens aient décidé de dimin­uer l’énergie nucléaire et de pass­er aux éner­gies renouvelables.
  • La Turquie sera dépen­dante de la Russie. Le peu d’uranium turc ne sera pas util­isé. La dépen­dance du gaz naturel sera rem­placé par la dépen­dance d’uranium.
  • Aucun pays n’a encore trou­vé de solu­tions pour les déchets.
  • La Russie ne reprends pas les déchets. Ils seront donc enfouis dans des réserves d’eau, pen­dant des cen­taines de mil­liers d’années, et dans une région sismique !
  • En cas d’accident les Russ­es ne seraient respon­s­ables que du 1/1000 du bud­get de cat­a­stro­phe de 500 mil­liards de dol­lars. La Turquie paierait tout le reste.
  • Si l’entreprise russe se déclare « en fail­lite », c’est encore à la Turquie de pay­er les dégâts.
  • Si le refroidisse­ment s’arrête pour une rai­son quel­conque, c’est la cat­a­stro­phe. On vous rap­pelle que la Turquie n’a pas réus­si à trou­ver en moins d’une semaine une expli­ca­tion à la coupure d’électricité du 31 mars 2015, qui a jeté la qua­si total­ité du pays dans l’obscurité.
  • La Turquie est un pays où un navire nucléaire peut être déman­telé dis­crète­ment, et les fer­railles jetées n’importe où. (Ali­ağa)
  • La Turquie est un pays où l’uranium peut être enrichi, mais en lais­sant der­rière 400 fois plus de radi­a­tions qu’un enrichisse­ment habituel déjà très polluant.
  • Le sys­tème hydraulique sera con­stru­it par l’entreprise dont le patron Mehmet Cen­giz expri­mait son ambi­tion, dans les enreg­istrements télé­phoniques ren­dus pub­lic en 2014, avec ces mots : « On va bais­er ce peuple ! »
  • L’en­tre­prise qui con­stru­it les infra­struc­tures de la cen­trale est celle qui a con­stru­it la mine de char­bon à Soma. Cette mine a été le tombeau de 301 mineurs en 2014.
  • La cen­trale pro­duira des pous­sières radioac­tives pen­dant son fonc­tion­nement (même sans acci­dent). Les pro­duits cul­tivés dans la région de Mersin, comme les frais­es et les bananes, seront dif­fi­cile­ment com­mer­cial­isées et seront de fait éti­quetées  « con­tient des traces radioac­tives ».
  • Le site se trou­ve dans une région touris­tique et il est entourée de sta­tions balnéaires.
  • Le pro­jet ne prévoit pas de trans­fert de con­nais­sances tech­nologiques. Ce qui veut dire que les Russ­es ne partageront pas leurs con­nais­sances nucléaires avec les Turcs comme les pub­lic­ités essayent de le faire passer.
  • La Turquie va « acheter » 70% de l’électricité pro­duite dans 2 des 4 réac­teurs, et 30% des 2 autres, au prix de 12,35 dollars/kWh. Vu le rap­port dollar/livre turque aujourd’hui, n’es­sayez pas d’imag­in­er la fac­ture d’électricité à la fin de la con­struc­tion dans quelques années…
  • Au niveau énergie : la Turquie a un excé­dent sur l’électricité, même en prenant compte les 15% de fuite d’énergie sur les réseaux d’a­chem­ine­ment. Akkuyu n’apportera que 2% d’énergie en plus.
  • N’ou­blions pas que la Turquie est à la veille des élec­tions lég­isla­tives (le  7 juin prochain) et l’AKP sautant sur toute occa­sion pour faire la pro­mo­tion de son pro­jet de « Nou­velle Turquie », cette « céré­monie d’ou­ver­ture » est un coup de théâtre, un pré­texte de plus pour dif­fuser sa pro­pa­gande cap­i­tal­iste, pro­duc­tiviste et anti écologique.

Donc : Akkuyu n’est pas une nécessité !

La céré­monie fut un peu gâchée par les opposants au pro­jet, qui ont blo­qué la route d’ac­cès au chantier avant de lever leur siège après l’in­ter­ven­tion des forces de l’or­dre, équipées d’un canon à eau. D’autres man­i­fes­ta­tions ont été organ­isées pour dénon­cer le pro­jet, notam­ment à Ankara et à Istan­bul, où une ban­de­role por­tant le slo­gan « Le nucléaire tue, nous voulons vivre ! » a été déployée devant le con­sulat de Russie.

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.