Si une femme boit du rakı rit, au moins neuf romans, qua­torze répliques de film sont tapis der­rière ce rire.

Dans le rire d’une femme qui boit du rakı se trou­ve le bon­heur le plus inof­fen­sif de ce monde, parce qu’elles rient en grand, parce qu’elles se taisent en grand…

La femme qui boit du rakı ne boit pas du rakı très souvent.

Mais au moment où elle boit du rakı, sache-le, le temps de le boire est venu et quand elles par­lent, elles par­lent clairement…

Ces femmes s’éclosent comme des belles-de-jour, ici et là, à la fin d’un déli­cieux après midi de keyif.

Ces femmes sont les cat­a­stro­phes du monde.

Et les mains de la femme qui boit du rakı sont belles.

Ces femmes ne te blessent pas, même en aimant un autre.

Si elle a envie de chanter, tu dois te taire. Tu dois regarder.

Tu dois écouter cette femme qui boit du rakı et qui chante.

La femme qui boit du rakı ne boit pas du rakı avec tout le monde et si elle boit du rakı avec toi, c’est que pour toi, elle a encore cent cinquante mètre car­ré de place dans son coeur.

Et toi, puisque tu sais cela, pour cette femme, tu as ouvert toutes les portes de ton coeur sans aucune attente, et avalé toutes les clés de ta poche pour ne plus jamais les retrouver.

La femme qui boit du rakı est la paix de l’u­nivers : elle n’aime pas le pom­peux, elle aime l’harmonieux.

La femme qui boit du rakı est belle, ceux qui sont à sa table, aussi…

Can Yücel

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Vidéo avec la voix de Savaş Ateş

Can Yücel est un poète qui a innové un genre nou­veau, bien à lui, avec un mélange de lan­gage pop­u­laire châtié et volon­taire­ment sim­ple et vul­gaire. Né en 1926, Can est un enfant d’Istanbul. Son père Hasan Ali Yücel était un ancien Min­istre qui a mar­qué l’histoire le l’Education en Turquie. Can, bour­si­er, a étudié le latin et le grec ancien à l’Université d’Ankara, puis à Cam­brige. Le jeune homme a tra­vail­lé comme tra­duc­teur pour les ambas­sades et la BBC à Lon­dres. Il a fait son ser­vice mil­i­taire en Corée. Après son retour en Turquie en 1958, il fut un court moment guide touris­tique à Bodrum et à Mar­maris. Puis il est retourné vivre à Istan­bul pour tra­vailler comme tra­duc­teur indépen­dant et com­mença à écrire des poèmes. En 1956, il épouse Güler Yücel et a deux filles, Güzel (Belle), Su (Eau) et un fils, Hasan. Can Yücel était un poète engagé. Il a été con­damné à 15 ans de prison pour avoir traduit les dis­cours de Che Gue­var­ra et de Mao Zedong en 1971. Il a été libéré par une amnistie générale en 1974. Le prési­dent turc Süley­man Demirel l’a attaqué en jus­tice pour insulte à mag­is­trat. Can Yücel a aus­si traduit en turc les œuvres de Lor­ca, Shake­speare et de Brecht. Ses inter­pré­ta­tions créa­tives de ces auteurs sont devenus des clas­siques en Turquie. Il a passé ses dernières années dans la vieille ville de Datça, pénin­sule au Sud-Ouest de la Turquie. Il pub­li­ait ses arti­cles et ses poèmes toutes les semaines dans la revue Leman et tous les mois dans Öküz. Il est décèdé le 12 août 1999 à Izmir et fut enter­ré à Datça.

Pour finir, parce que les pubs ven­tant des pro­duits alcoolisés sont désor­mais inter­dits à la TV turque, en voici une sur le raki que Can Yücel, à en lire son poème, aurait cer­taine­ment apprécié…

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Naz Oke
REDACTION | Journaliste 
Chat de gout­tière sans fron­tières. Jour­nal­isme à l’U­ni­ver­sité de Mar­mara. Archi­tec­ture à l’U­ni­ver­sité de Mimar Sinan, Istanbul.