La salle de ciné­ma Emek d’Is­tan­bul a ouvert ses portes en 1924 sous l’enseigne “Melek” (ange en français). Elle tirait son nom des deux sculp­tures d’anges de style Art Nou­veau, placées sur les deux côtés de l’écran.

Le ciné­ma a reçu son nou­veau nom « Emek » dans les années 40, après son acqui­si­tion par Emek­li Sandığı (Caisse de Retraite). En une dizaine d’années Emek est devenu LE ciné­ma d’Istanbul.

Plus qu’une sim­ple salle de ciné­ma de sim­ple diver­tisse­ment, Emek a accueil­li des films légendaires étrangers et turcs, de nom­breux réal­isa­teurs et acteurs, pour la présen­ta­tion de leur films ou la récep­tion d’un prix, notam­ment lors du fes­ti­val du film d’Istanbul réal­isé pen­dant plus de 20 ans. Emek est un lieu mythique, le berceau de la cinéphile pour plusieurs généra­tions stanbouliotes.

Mais…

Eh bien, sur la bal­ance du pou­voir AKP, le fric pèse plus lourd que la Cul­ture, alors on croise à chaque pas en Turquie, un “mais” qui vient gâch­er le plaisir. L’his­toire d’E­mek est une longue descente en enfer, une course au profit.

Le 26 octo­bre 2009, sous pré­texte d’un pro­jet de restau­ra­tion Emek ferme ses portes.

Puis, le pro­jet d’urbanisation “Grand Pera” en charge de l’entreprise Kamer İnşaat revient au devant de l’écran. La démo­li­tion et recon­struc­tion du ciné­ma fait par­tie de ce pro­jet géant de com­plexe com­mer­cial de 10 étages. L’en­tre­prise pos­sède un con­trat de 25 ans depuis 1992.

Les pro­fes­sion­nels et ama­teurs du ciné­ma ne peu­vent être que con­tre ce pro­jet laid, cou­teux et inutile.

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En mai 2011 Le 9ème Tri­bunal admin­is­tratif d’Istanbul décide l’arrêt du pro­jet. Mais (Et oui, encore un “mais”) les travaux con­tin­u­ent illé­gale­ment mal­gré la lutte des opposants. 7 mois plus tard, en décem­bre 2011, le Tri­bunal annule sa pro­pre déci­sion sans aucun motif.

Mal­gré les démarch­es entamées auprès de jus­tice, et le dossier du procès ouvert par TMMB (La Cham­bre des Archi­tectes) en attente sur les bureaux du Con­seil d’Etat, le déman­tèle­ment d’E­mek com­mence en mars 2013.

Les déco­ra­tions et pièces his­toriques sont retirées de bâti­ment. Le Pre­mier Min­istre, le Min­istre de Cul­ture, le Maire et l’en­tre­prise chargé du pro­jet déclar­ent une nième fois que l’éd­i­fice ne sera pas détru­it mais “déplacé” (la tech­nique “mov­ing”, comme le Tem­ple d’As­souan). Destruc­tion ou déplace­ment ? Décidé­ment, le pou­voir AKP et opposants du pro­jet n’ont pas la même lec­ture : le pro­jet prévoit la recon­sti­tu­tion intérieure de la salle au dernier étage du com­plexe commercial.

Mal­gré le dossier en cours déposé auprès du Con­seil d’E­tat : Emek est détru­it illé­gale­ment le 20 mai 2013.

Mais le film n’est pas terminé !

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La démo­li­tion sus­cite des protes­ta­tions et la mobil­i­sa­tion rejoint celle de Gezi Park dès fin mai.

Le parc Gezi, une de rares par­celles de ver­dure dans ce quarti­er de plus en plus béton­né, est la proie d’am­bi­tions cap­i­tal­istes tout comme Emek. La démo­li­tion du parc, joux­tant la Place Tak­sim, fait égale­ment par­tie d’un impor­tant pro­jet de cen­tre com­mer­cial. Il s’agit de la recon­struc­tion à l’identique d’une caserne mil­i­taire, dev­enue sym­bole de la char­ria sous l’Empire Ottoman, tombée par la suite en frich­es, et rasée et trans­for­mée en parc.

La résis­tance de Gezi, sans doute beau­coup d’en­tre vous l’avez suiv­ie, sera une péri­ode de mobil­i­sa­tions, de luttes et de répres­sion poli­cière intense pen­dant plusieurs mois.

 Istanbul 2013 • La Résistance de Gezi 

En ce qui con­cerne Emek, les mil­i­tants sont mobil­isés encore aujour­d’hui pour stop­per les travaux, restituer le ciné­ma sur son emplace­ment ini­tial et subis­sent régulière­ment la vio­lence policière.

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Le site Inter­net du Ciné­ma Emek nous informe que le 8 jan­vi­er 2015 le Tri­bunal Admin­is­tratif Région­al d’Istanbul, a annon­cé sa déci­sion d’arrêt des travaux pour les motifs suiv­ants : aucune util­ité publique, non con­for­mité juridique, dom­mages irrémé­di­a­bles causés à des édi­fices his­toriques et culturels.

Par­al­lèle­ment une déci­sion impor­tante du Con­seil d’Etat est égale­ment tombée : Une autori­sa­tion a été don­née pour per­me­t­tre l’ouverture d’une enquête sur Ahmet Mis­bah Demir­can, Maire de Bey­oğlu, et les respon­s­ables de la mairie con­cernés par le pro­jet d’urbanisation du quartier.

Les mil­i­tants cla­ment la respon­s­abil­ité du Maire, l’accusent d’avoir négo­cié des per­mis de con­struc­tions, non seule­ment pour la destruc­tion d’Emek mais aus­si pour le pil­lage et la marchan­di­s­a­tion de tout le quarti­er his­torique de Bey­oğlu et met­tent le doigt sur la poli­tique de spécu­la­tions fon­cières du gou­verne­ment, et de la cor­rup­tion ambiante, “élus, par­ti­c­uliers, mafias, entreprises”.

Ces pas­sion­nés de ciné­ma et du quarti­er Bey­oğlu, sim­ples citoyens, artistes et pro­fes­sion­nels, refusent la main mise du cap­i­tal sur Emek, deman­dent l’arrêt total des travaux, l’annulation immé­di­at du pro­jet, ain­si que la nation­al­i­sa­tion et la recon­struc­tion du ciné­ma à l’identique à son emplace­ment d’origine.

Ils répliquent d’une voix unanime :

Tant que nous n’avons pas dit “coupez” ce film ne se ter­min­era pas !

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Lais­sez le s’écrouler sous vos applaudissements !

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