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Le 14 novem­bre dernier dis­parais­sait à Téhéran, emporté par cette saleté de crabe, Morteza Pashaei, que la presse turque a médail­lé de « Tarkan iranien ». Ce qui, pour don­ner une idée pour les non ini­tiés, élève cet artiste au pan­théon de la pop.

Ce John Lennon iranien s’en est allé, don­nant lieu à des rassem­ble­ments mon­stres dans Téhéran. Et nous, à la rédac­tion de Kedis­tan, avons voulu com­pren­dre le pourquoi d’une telle fer­veur dans la pop­u­la­tion irani­enne. Pour ce faire, nous avons con­tac­té Masih Aline­jad, la célèbre jour­nal­iste irani­enne qui a ouvert la page Face­book My Stealthy Free­dom, où les femmes irani­ennes lui envoient leurs pho­tos sans le hijab (voile islamique) ou des vidéos en train de chanter et c’est par cette page Face­book que nous avons appris la mort de Morteza Pashayei. Masih, aujourd’hui exilée à New York, a très gen­ti­ment répon­du à nos ques­tions, lors d’un entre­tien télé­phonique. Avant de com­mencer l’entretien, nous avons tout de suite prévenu Masih que nous ne con­nais­sions rien à l’Iran, et qu’elle devrait nous par­don­ner si elle trou­vait nos ques­tions un tan­ti­net sim­plistes. Ce à quoi elle nous a répon­du que ce serait très bien pour les gens qui juste­ment ne con­nais­sent pas l’Iran…

Masih nous explique que la rai­son de cette fer­veur pop­u­laire est à chercher dans le fait que Morteza chan­tait l’Amour avec un grand A, et que ce n’est pas quelque chose dont on par­le publique­ment en Iran. Ce n’est pas quelque chose de bien vu par le régime. Par exem­ple, nous dit-elle, en Iran, on ne sort pas ensem­ble si l’on n’est pas mar­ié. On ne se tient pas la main dans rue. On ne s’assoit pas en amoureux sur les bancs. (Exacte­ment comme sous Fran­co). Les rassem­ble­ments sont inter­dits par le régime qui craint des man­i­fes­ta­tions de masse comme celles que le régime a vu se dérouler en 2009 et dont la répres­sion a fait plus de 100 morts par­mi les man­i­fes­tants. Masih a d’ailleurs inter­viewé elle-même plus d’une cinquan­taine des familles de vic­times. Elle nous dit que par exem­ple, pas plus tard que la semaine dernière, un jeune ayant partagé une plaisan­terie sur le prophète Mahomet a tout de suite été jeté en prison et con­damné à mort. A ce pro­pos, répon­dant à une de nos ques­tions sur l’athéisme dans la société irani­enne, elle nous dit qu’il y a une cer­taine pro­por­tion de la pop­u­la­tion qui est athée, mais que c’est évidem­ment quelque chose dont on ne peut par­ler publique­ment. En ce qui con­cerne la musique, elle nous explique que le régime autorise par­fois cer­tains artistes de se pro­duire. Une chance qu’a eu Morteza Pashaei quand tant d’autres artistes ont dû quit­ter le pays car ils ne voy­aient pour eux aucun avenir. Pour le régime, autoris­er de temps en temps des con­certs, selon Masih, revient d’une cer­taine façon, à relâch­er un peu la vapeur dans cette jeunesse irani­enne sous-pres­sion. (pour don­ner un indi­ca­teur, selon nos rapi­des cal­culs, grâce aux don­nées de l’UNICEF, en 2012, les moins de 18 ans représen­taient 28,5% alors que moins de 5 % de la pop­u­la­tion seule­ment avait plus de 65 ans. L’âge médi­an iranien est d’environ 28 ans con­tre env­i­ron 40 ans en France.). Pour Masih, il faut voir dans la jeunesse irani­enne la véri­ta­ble force de l’opposition et on com­prend mieux, au vu de la forte pro­por­tion de la jeunesse dans ce pays, pourquoi l’Etat religieux iranien sem­ble en avoir tant peur. Les jeunes, nous dit Masih, en Iran, sont comme finale­ment tous les autres jeunes au monde. Ils ne désirent rien de plus que de pou­voir sor­tir libre­ment dans la rue sans être inquiétés, rire, danser, chanter comme bon leur sem­ble. Pour les dig­ni­taires du pou­voir, nous explique-t-elle, une per­son­ne dans la rue qui chante ou danse, c’est exacte­ment le pro­fil d’un crim­inel. C’est pourquoi, cette jeunesse par nature crim­i­nal­isée, a investit l’espace médi­a­tique des réseaux soci­aux. Mal­gré les inter­dic­tions, les jeunes ont soif de savoir ce qui se passe dans leur pays et dans le monde, de s’instruire, de con­naître des choses nou­velles, et se poli­tisent ain­si. D’ailleurs, les jeunes iraniens ont trou­vé dans les réseaux soci­aux une alter­na­tive à la presse de leur pays, et s’ac­ca­parant eux-mêmes les nou­velles tech­nolo­gies, ils sont devenus eux-mêmes les acteurs de leur pro­pre presse.

Puis arrive le décès de Morteza Pashaei sur lequel par ailleurs nous nous inter­ro­geons pour savoir s’il existe beau­coup de cas de can­cer en Iran, à savoir si l’I­ran, par exem­ple, a aus­si été impacté par Tch­er­nobyl. Masih nous répond par l’af­fir­ma­tive que de nom­breux cas de can­cer se déclar­ent en Iran, et nom­breuses seraient les per­son­nes qui pensent que l’E­tat religieux, faisant tout pour brouiller les com­mu­ni­ca­tion, auraient à force d’on­des provo­qué cette épidémie san­i­taire dans la pop­u­la­tion. Dans cet Iran, donc, où nous dit-elle, les femmes ont l’in­ter­dic­tion de chanter, où « le ridicule » pour repren­dre ses ter­mes, va si loin qu’il est inter­dit de représen­ter des instru­ments de musique à la télévi­sion. Lors des retran­scrip­tions télévi­suelles, on entend la musique, mais on ne voit pas l’instrument nous racon­te-t-elle pour l’anecdote.

Imag­i­nons cet Iran de toutes les inter­dic­tions, où tout à coup, à l’annonce de la mort pré­maturée de ce jeune artiste (Pashaei n’avait que 30 ans), les sms fusent de partout, et spon­tané­ment, la jeunesse du pays se met à se rassem­bler dans un rare moment d’unité nationale. Il y a eu, nous racon­te Masih, en ce jour du 14 novem­bre 2014 où Morteza fut inhumé au Père Lachaise iranien de Behesht-Zahra dans la ban­lieue de Téhéran, des rassem­ble­ments soudains dans toutes les plus grandes villes d’Iran, non seule­ment à Téhéran, mais aus­si Mash­had, Ispa­han, Tabriz, Shi­raz… (à ce moment là, Masih s’arrête et nous demande si nous voulons qu’elle nous épelle le nom des villes. Nous lui répon­dons que non, que c’est une des rares choses d’Iran dont en France, nous ayons enten­du par­ler, la ville de Shi­raz ayant don­né son nom à un vin…haha). Selon Masih, non seule­ment c’est la pre­mière grande démon­stra­tion pop­u­laire depuis les évène­ments de 2009, mais de plus, d’après ses sources sur place, il y aurait eu même plus de gens dans les rues ce jour là que pour l’enterrement de l’Ayatollah Khome­nei décédé le 3 juin 1989. Ce qui porterait la man­i­fes­ta­tion à large­ment plus d’un mil­lion de per­son­nes, et en ferait, selon elle, le plus grand rassem­ble­ment pop­u­laire de toute l’histoire de l’Iran. Et voilà tous ces jeunes iraniens, filles et garçons, qui sor­tent dans les rues de tout l’Iran en se ten­ant la main, et repren­nent tous en cœur des chan­sons d’amour. Bien sûr, le régime aurait aimé arrêter cela mais n’a pas pu. D’où le geste de frus­tra­tion, filmé par un man­i­fes­tant et qui s’est propagé sur les réseaux soci­aux, de ce polici­er qui bal­aye du pied les bou­gies allumées en l’honneur de Morteza. Et puis, bien sûr, il y a eu l’apparition télévi­suelle des par­ents de Morteza, pour dire que leur fils était très croy­ant et soute­nait le régime. Mais, nous dit Masih, per­son­ne n’est dupe et quand cela se passe, tout le monde sait en Iran ce que cela veut dire. Les proches de Morteza ont sim­ple­ment voulu se protéger.

C’est pourquoi pour Masih Aline­jad, il faut voir dans ces obsèques de Morteza Pashaei plus loin que de sim­ples funérailles nationales. Un indi­ca­teur pour l’avenir poli­tique du pays. Un mes­sage envoyé par la jeunesse irani­enne à ce régime cor­rompu qui, aujourd’hui, pein­erait selon elle forte­ment à rassem­bler. Un mes­sage lumineux mêlé d’espoir et d’amour. Ce mes­sage, c’est aus­si celui que nous adresse ce jeune qui s’est filmé lors des obsèques de Morteza Pashaei, avant de l’envoyer sur la page My Stealthy Free­dom : « Je m’appelle Behrooz, je sais que vous avez demandé sur votre page à ce que les femmes se fil­ment en train de chanter. Je vous envoie cette vidéo parce que je veux dire qu’en Iran tout, de notre per­spec­tive, n’est pas mor­bide et triste. C’est moi, à Behesht e Zahra, en train de chanter pour Morteza Pashaei et ce sont des gens qui adorent la musique. Ils se sont rassem­blés avec gen­til­lesse et amour pour pleur­er leur chanteur bien aimé de manière dif­férente. Des gens qui n’ont jamais eu la chance de dire à voix haute qu’hommes et femmes sont égaux, que nous aimons vivre respectueuse­ment, rire, être heureux, chanter et partager nos peines. J’espère que les femmes de cette page enver­ront leurs vidéos en train de chanter, s’il vous plaît partagez ma chan­son parce que nous tra­ver­sons tout cela ensem­ble ».

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