Les mémoires du frère de Deniz Gezmis, Ham­di Gezmis, sont pub­liées aux édi­tions Can. Ce livre com­pilé par Can Dün­dar, avec toutes les archives per­son­nelles lais­sées par Deniz Gezmis à son frère, con­tient des pho­tos, doc­u­ments et anec­dotes jamais pub­liées à ce jour.

Il y avait un mur peint régulière­ment avec de la chaux dans notre quarti­er. Ce mur était au début de la rue, en face de notre jardin. Ils peignaient, l’écriture résis­tait puis réap­pa­rais­sait après deux pluies. Restait vis­i­ble la phrase en gros car­ac­tère « les Deniz ne meurent pas ».
Nous le regar­dions dans un respect silen­cieux avec nos esprits d’enfants ; les grands frères du quarti­er ne nous per­me­t­taient pas d’écrire autre chose sur le mur. La pluie de Karad­eniz est abon­dante. Mais elle n’avait pas dis­paru de là pen­dant longtemps. Et elle était persistante.
C’est ain­si que j’ai con­nu Deniz Gezmis. Je suis en effet un enfant de la péri­ode du coup d’état. Plusieurs années s’écoulant après cette époque, j’ai pu appren­dre davan­tage sur Deniz Gezmis par le biais de la lec­ture. J’avais lu d’un trait le livre « mémoires d’une nuit d’exécution » de Halit çelenk.
Désor­mais j’ai dans mes mains « Mon frère Deniz, les sou­venirs de son frère Ham­di Gezmis. » Ham­di Gezmis, a ouvert toutes ses archives pour Can Dün­dar. « Des let­tres et des pho­togra­phies jamais pub­liées » est écrit sur la cou­ver­ture du livre. En plus d’avoir lu rapi­de­ment cet ouvrage, j’ai aus­si longue­ment regardé les photographies.

Ami de lettres

500-368

Nous avions avec nous d’un côté Che Gue­vara et de l’autre Deniz Gezmis » est une phrase que j’entendais sou­vent. Je n’ai pas eu l’habitude de coller des posters sur les murs. Si je devais le faire, je choisir­ais ces deux noms dans tous les cas.

Au début du livre, il y a des anec­dotes sen­ti­men­tales mais aus­si très amu­santes sur le Che. En décou­vrant cette par­tie du livre, j’ai eu envie de m’y plonger corps et âme.

La photo utilisée sur la couverture du livre. L’Université d’Istanbul, le Monument d’Atatürk, 1967

La pho­to util­isée sur la cou­ver­ture du livre. L’Université d’Istanbul, le Mon­u­ment d’Atatürk, 1967

Je le résume ain­si briève­ment : des let­tres inédites et jamais pub­liées. Cer­taines de ces let­tres sont des cartes postales ou des let­tres provenantes de cor­re­spon­dants écrites en anglais depuis l’étranger.
Can Dün­dar, Ham­di Gezmis et Can Gezmis se sont demandés en fouil­lant les let­tres si les cor­re­spon­dants de Deniz Gezmis ont su par la suite ce que ce dernier était devenu et le plus impor­tant s’ils avaient con­servé les let­tres qu’il leur avait écrit.

Can Dün­dar a recher­ché sur inter­net les noms de ces cor­re­spon­dants, un par un. C’est ain­si qu’a été retrou­vée Gabriel­la Kaden­bach la cor­re­spon­dante de Deniz Gezmis de Berlin en Alle­magne. Ils décidèrent donc de la ren­con­tr­er avec une curiosité non feinte. Bien sûr qu’avec beau­coup d’excitation ils prirent l’avion pour la rejoindre.

Gabriel­la avait la soix­an­taine env­i­ron et tra­vail­lait au Zoo de Berlin. Elle ressen­tait aus­si beau­coup d’excitation à l’idée de cette rencontre.
Nous lui avons don­né la let­tre qu’elle avait écrite à Deniz il y a 50 ans.
Elle se sou­ve­nait d’avoir eu une cor­re­spon­dance avec Deniz Gezmis mais n’était pas au courant de ce qu’il lui était advenu.
C’est pourquoi elle n’avait mal­heureuse­ment pas con­servé ces pho­togra­phies et lettres…
Mais qu’était-t-il arrivé à Deniz ? Pourquoi ces pho­tos étaient-elles si importantes ?
Can, avec son humour hérité de son oncle, lui don­na la réponse. « Imag­inez que c’est comme si vous aviez cor­re­spon­du avec Che Gue­vara et que vous aviez déchiré ses lettres… »
Cette anec­dote était le fruit d’un tra­vail fait avec minu­tie et persévérance.

İnönü et le Préfet de Sivas

Dans les années où il a étudié au Bilir Collège. 1964-66

Dans les années où il a étudié au Bilir Col­lège. 1964–66

Je vous cite encore deux moments dans le livre qui m’ont frap­pé et vous laisse l’honneur de décou­vrir le reste.

La fin des années 1950, lorsque la direc­tion du par­ti démoc­ra­tique se durcit, mar­que les années où les CHP sont sous pres­sion. La famille Gezmis est à Sivas à cette époque. Ismet Inönü vient à Sivas. C’est aus­si à ce moment que Deniz Gezmis prend posi­tion face au CHP. Son proche ami d’école Aydin Cubukçu est le fils du prési­dent du CHP Sivas Sevket Cubukçu. Inönü est un ami proche de la famille Cubukcu. Lorsqu’il vient à Sivas, celui-ci reste dans leur maison.
Les deux amis se met­tent en tête l’idée d’embrasser la main d’Inönü et de faire con­nais­sance avec lui. Pour Aydin, c’est facile puisqu’il résidait chez lui mais plus dif­fi­cile pour Deniz car tous les chemins menant à la mai­son sont sous con­trôle de la police. Je vous trans­mets la suite sous la plume de Can Dündar :

« Deniz insista auprès d’Aydin à la sor­tie de l’école en lui deman­dant de l’emmener avec lui à la maison »

Aydin lui répond : « Même moi je peine à ren­tr­er chez moi. Com­ment puis-je t’y emmener ? »

” Je vais y entr­er ” répondait Deniz en s’entêtant

« Lorsque Aydin ren­tra chez lui, il aperçut Deniz devant lui. »

« Il avait embrassé la main du Pacha et il souriait »

” Douze années plus tard, le Pacha allait faire son pos­si­ble pour sauver cet enfant, qui lui avait embrassé la main, de l’exécution. ”

« Lorsque Deniz finit l’école, il par­tic­i­pa à un con­cours dans le cadre des écoles pri­maires et avait fini pre­mier. Il avait reçu son diplôme par les mains du préfet de Sivas Kadri Erdo­gan. Le préfet offrit à ce bril­lant élève un sty­lo à encre. »
« Douze ans après, le même préfet, allait vot­er en faveur de la peine cap­i­tale con­tre Deniz Gezmis.»

Après la montée, Şarkışla

500-384

Lorsque Deniz ter­mi­na son école avec suc­cès, son père lui offrit un vélo. Pour l’aventurier Deniz, c’était une occa­sion imman­quable. Il pous­sa les lim­ites de son aven­ture avec son vélo. Un jour il mon­ta sur selle avec Aydin Cubukçu pour pren­dre la direc­tion de Kay­seri. Il prit la route pour Kizilir­mak, passèrent le pont, puis ils arrivèrent à l’endroit appelé Yogun­yokus. En dépas­sant le pont, Deniz paria que de l’autre côté ce serait kay­seri. Mais en mon­tant la rampe, le pneu du vélo cre­va. C’est en marchant qu’ils ren­trèrent à la mai­son. Sur le chemin de la mai­son, la nuit tom­ba. Sa maman Mukad­des et son père furent très inqui­ets. Son père mon­ta dans la voiture pour se met­tre à la recherche de son fils. Etant très énervé, il le vit pouss­er son vélo de retour de Kay­seri et il le dépas­sa en l’ignorant.
Ham­di Gezmis par­le ain­si de son père : mon père a fait sem­blant de ne pas le voir. Quand bien même il était énervé, il n’a jamais util­isé de vio­lence con­tre nous. Lorsqu’il était très en colère il fai­sait sem­blant de don­ner un geste de coup de loin. Cette nuit il pas­sa un peu de temps dehors pour faire pass­er sa colère en atten­dant que mon grand frère Deniz ren­tre à la maison.

La prison de Bursa 1970. Deniz, à la fenêtre de Nazi

La prison de Bur­sa 1970. Deniz, à la fenêtre de Nazi

Lorsqu’il a été cap­turé le 16 mars 1971, il essayait encore de sur­mon­ter la rampe de Yogun­yokus. Après le coup d’état, alors que la police le cher­chait, il s’était mis en tête de se ren­dre à Nurhak. Con­nais­sant Sivas depuis son enfance, il prit le chemin de Sivas. L’entrée de la ville était coupée par la police. Voy­ant cela, il pen­sa à son sou­venir d’enfance vécu avec Aydin Cubukcu. Il se dirigea par le pont de Kizilir­mak vers Kay­seri. Il avait à ses coté Yusuf Aslan. Et cette fois c’est sa moto qui tom­ba en panne.

Ham­di Gezmis le racon­te ain­si : « il a pen­sé qu’il passerait Yogun­yokus pour par­venir à Kay­seri, depuis là pour par­venir à Malataya. »

« Après avoir passé à Yogun­yokus…. Ensuite par-dessus Gemenek à Nurhak’a… »

« Mais voilà que cela n’avait pas été possible… »

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Puis ils ont détru­it la mai­son au bout de la rue, et le mur du jardin aus­si. Un immeu­ble a été con­stru­it à sa place. Une nuit la jeunesse du quarti­er a écrit sur le mur de ce nou­v­el immeu­ble « les Deniz ne meurent pas » avec une pein­ture de couleur rouge… (HK)
Note : Lorsque j’ai écrit ceci, la nou­velle du décès de la maman de Deniz Gezmis, Mukad­des Gezmis m’est par­v­enue. Mukad­des Gezmis était enseignante comme son époux Cemil Gezmis. Elle avait 98 ans, et est morte des suites d’une hémor­ragie cérébrale.

Source : Haluk Kalafat, “Deni­zler ölmez”, Bianet, Istan­bul, 22 Nov. 2014.

Tra­duc­tion : Tülay Torun pour Kedistan.

 

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