Si l’on ne traite pas, lorsque l’on exam­ine le con­cept de vio­lence, des croy­ances religieuses de la société dans laque­lle nous vivons, de sa struc­ture économique, des proces­sus his­toriques tra­ver­sés et de ses prob­lèmes struc­turaux, toute appré­ci­a­tion que l’on pour­ra en faire gardera un pied dans le vide. Parce que ce sont ces con­cepts qui sont à la base de la struc­ture que l’on appelle « les bonnes moeurs ». Pour cette rai­son, le con­cept de « bonne mœurs » pré­pare le ter­rain de nom­bre d’événements vécus de la vio­lence indi­vidu­elle à la vio­lence mas­cu­line, de la vio­lence d’état à la vio­lence sociale. En Turquie, chaque année, des dizaines de trans MTF sont vic­times de crimes de haine. Rien que de 2009 à aujourd’hui 34 trans­sex­uelles ont été assas­s­inées. La semaine dernière, c’est Gül la Gitane que nous avons per­due suite à un crime de haine. Dans cet arti­cle nous réfléchi­rons une fois de plus à la cul­ture de la vio­lence qui a con­duit à ce que nous per­dions Gül.

La vio­lence issue de l’Etat

Nous savons que les indi­vidus LGBT ne sont pas les seuls à être vic­times de la vio­lence d’état. Nous sommes con­scients du fait que l’Etat, qui fait tourn­er son moulin sur les larmes et le sang, con­tin­ue et con­tin­uera sans coup férir ses attaques et mas­sacres éhon­tés con­tre tous ceux qui ne se recon­nais­sent pas en lui. Les mas­sacres de Robos­ki et de Rey­han­lı, les crimes d’ouvriers, l’affaire Hrant Dink, les per­son­nes tuées lors de la Résis­tance de Gezi et les per­son­nes mis­es en exa­m­en dans ce mou­ve­ment en sont les plus récents exemples.

La coopéra­tion de l’assemblée, des instances juridiques et de la police

« Je pense que l’homosexualité est une anom­alie biologique, une mal­adie. Une chose qui, à mon avis, demande à être soignée. Pour cette rai­son, je ne suis pas favor­able aux unions homo­sex­uelles. Dans notre min­istère, nous ne menons aucun tra­vail sur cette ques­tion. D’ailleurs, aucune reven­di­ca­tion en ce sens ne nous a été trans­mise. Nous ne nions pas qu’il y ait des homo­sex­uels en Turquie, en l’occurrence il y en a. »

Cette déc­la­ra­tion de la min­istre Aliye Kavaf con­stitue l’un des points de départ de la vio­lence issue de l’Etat. Elle dit implicite­ment : con­tin­uez d’assassiner, nous, l’Etat, nous sommes der­rière vous. L’état qui pro­duit des dis­cours de haine par l’intermédiaire de ses min­istres ne pro­duit pas une vio­lence unique­ment ver­bale. Il la met en pra­tique avec ses réduc­tions de peine pour « lourde provo­ca­tion » qui ont cours pour les crimes à l’encontre des trans. Ce qui per­met aux assas­sins de revenir rapi­de­ment par­mi nous. Et d’assumer la dif­fu­sion vers les mass­es du mes­sage : elles sont comme des boules de stress sociales, vous pou­vez les frap­per tant que vous voulez, les bless­er et les tuer.

Joint à cela, il y a aus­si les dépo­si­tions des assas­sins au com­mis­sari­at. Ce n’est pas un hasard si la défense des assas­sins est la même dans 99% des cas. On change les dépo­si­tions des assas­sins sous l’orientation de la police pour leur per­me­t­tre de béné­fici­er d’une réduc­tion pour lourde provo­ca­tion. Bon, quelle est, sérieuse­ment, la dépo­si­tion qui per­met une réduc­tion ? « Elle m’a fait une propo­si­tion indé­cente… » Met­tons de côté ce sou­tien des forces de l’ordre. Que dire du pro­cureur ? Du juge qui applique la réduc­tion ? Les autorités judi­ci­aires turques, avec des procès qui font penser à autant de pièces de théâtre, ren­voient rapi­de­ment par­mi nous des assas­sins en accep­tant des dépo­si­tions stéréo­typées. Même dans la mort d’une de nos amies trans­sex­uelles, les juges, qui avalisent la dépo­si­tion par la réduc­tion, révè­lent son rôle dans les meurtres de trans. Ce que j’ai évo­qué briève­ment jusqu’à présent, ce ne sont que les affaires qui ont abouti à la mort. Mais il y a aus­si les vio­la­tions de droits qui sont fréquem­ment vécues dans la vie quo­ti­di­enne. En tête de celles-ci, l’amende de 83 livres turques don­née par la police en ver­tu de la « loi sur la délin­quance ». L’application des bonus qui a com­mencé avec l’arrivée de Hüseyin Çap­kın à la Direc­tion de la Sûreté de la Province d’Istanbul a apporté avec elle la vio­lence con­tre ceux qui s’opposent à l’amende. Depuis qu’arrêter un assas­sin et arrêter un trans rap­por­tent le même nom­bre de points, les pro­mo­tions se sont accélérées et les primes ont aug­men­té. Bon, si c’était vous, qui arrêteriez-vous ?

Dans les poli­tiques de l’Etat il est pos­si­ble de voir de nom­breux types de vio­lence. L’accès à la jus­tice, à la san­té ou au droit d’asile n’est pas val­able pour les trans.

Le fait que notre amie, blessée à la gorge dans le quarti­er de Bey­oğlu à Istan­bul, détroussée et envoyée à l’hôpital après qu’on lui ait payé d’avance la course de taxi, ait été ren­voyée du com­mis­sari­at sans qu’aucune for­mal­ité ne soit engagée, étale au grand jour et d’une manière très nette les obsta­cles que l’on met à l’accès à la jus­tice, au droit d’asile avec l’augmentation des loy­ers sur le site d’Avcılar-Meis et la poli­tique d’immigration appliquées aux trans MTF, et au droit à la san­té avec l’humiliation dont sont vic­times les indi­vidus trans dans les hôpi­taux publics.

L’exclusion sociale

La vio­lence vécue par les trans exclues de la vie sociale sur jus­ti­fi­ca­tion des règles des bonnes mœurs n’est pas appliquée unique­ment par l’Etat et ses insti­tu­tions. Les trans, que l’on compte pour rien, que l’on tue sous cou­vert de reli­gion, de morale, d’honneur sont poussées à devenir des tra­vailleuses du sexe. Et elles sont alors mon­trées du doigt, humil­iées, mau­dites à cause de ce tra­vail qu’elles font… Dans un espace où toutes les portes se fer­ment, il ne leur reste qu’un seul choix, qui est le tra­vail sex­uel for­cé. Bien sûr, ici une autre ques­tion vient à l’esprit ; ceux qui approchent les trans MTF comme clients, qui sont-ils ? Là encore, bien sûr, ce sont ceux qui leur fer­ment les portes de la vie sociale. Les gar­di­ens hyp­ocrites d’une con­cep­tion hyp­ocrite de la morale…

Lorsque l’on élève la voix con­tre la vio­lence, il con­vient désor­mais de penser à deux fois. Dans un ordre où l’oppression, le meurtre et la douleur sont cha­cun des par­ties de notre vie quo­ti­di­enne, notre quête du droit, de la jus­tice et de la lib­erté doit se faire au prof­it de toutes les tranch­es de la société. Car la vio­lence appliquée à un groupe que l’on exclut se retourne et finit par frap­per toutes les tranch­es de la société. Ayant cela à l’esprit, je voudrais main­tenant vous repos­er cette ques­tion ; vous par­liez de vio­lence con­tre la Femme ?

Immé­di­ate­ment suite à cet arti­cle nous avons reçu deux dépêch­es ; Aylin, trans d’Istanbul, a été blessée de nom­breux coups de couteau et, tou­jours à Istan­bul, Cor­ti Emel a été assas­s­inée à coups de hache dans la tête à Tar­la­başı.  Sur nos ter­res, sous cou­vert de « bonnes mœurs » et avec les dis­cours de haine pro­duits par l’état machiste, les agres­sions trans­pho­bes con­tin­u­ent à se pro­duire, qua­si­ment chaque jour.

Ebru Kırancı, 26 octo­bre 2014.
Mey­dan (la place), men­su­el anar­chiste, n°22.
Tra­duc­tion : Turgut Karake­dio­gu­lu pour Kedistan.

KEDISTAN on EmailKEDISTAN on FacebookKEDISTAN on TwitterKEDISTAN on Youtube
KEDISTAN
Le petit mag­a­zine qui ne se laisse pas caress­er dans le sens du poil.