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Typ­ique de la myopie des médias occi­den­taux, au lieu de con­sid­ér­er les impli­ca­tions des femmes prenant les armes dans ce qui est une société essen­tielle­ment patri­ar­cale – par­ti­c­ulière­ment con­tre un groupe qui vio­le et vend les femmes comme esclaves sex­uelles – même les mag­a­zines de mode se sont appro­priés la lutte des femmes kur­des à leurs pro­pres fins per­son­nelles. Les reporters pren­nent sou­vent les plus “jolies” com­bat­tantes pour des inter­views et les car­i­ca­turent de façon exo­tique en ama­zones ‘qui déchirent’.

(KurdishQuestion.com)


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Rehana a dis­paru, vic­time de Daech

Une jeune femme kurde nom­mée « Rehana » attire énor­mé­ment l’attention des médias ces derniers jours, après que des rap­ports soient apparus déclarant qu’elle avait tué plus d’une cen­taine de com­bat­tants de Daech – à elle seule – comme une grande. Une pho­togra­phie de cette beauté souri­ante, en tenue de com­bat et ten­ant une cara­bine, fait tou­jours le tour des médias soci­aux. Même si les actions de Rehana restent non cor­roborées, la surabon­dance d’attention qu’elle a reçue soulève plusieurs ques­tions impor­tantes. Elle s’ajoute à la pléthore de reportages qui ren­dent dans leur ensem­ble “glam­our” les batail­lons féminins kur­des défi­ant les com­bat­tants de Daech, avec tout juste une petite atten­tion  poli­tique sur ces “braves femmes”.

Ren­dre “sen­sa­tion­nelles” les manières par lesquelles ces femmes décon­stru­isent les notions “tra­di­tion­nelle­ment admis­es” de la femme “ori­en­tale”, voilà qui fait ven­dre. Et pour­tant, ces autres car­i­ca­tures con­ven­tion­nelles du coup, présen­tent de façon erronée les com­bat­tantes kur­des comme “un roman phénomène”. Elles déval­orisent une lutte légitime en pro­je­tant leurs étranges fan­taisies ori­en­tal­istes – et sim­pli­fient à l’excès les raisons qui motivent les femmes Kur­des à pren­dre les armes. De nos jours, cela paraît attrayant de représen­ter les femmes comme sym­pa­thiques enne­mies de Daech, sans lever de ques­tions sur leur idéolo­gie et buts politiques.

Dans le même temps, des cri­tiques ont accusé les dirigeants kur­des d’exploiter ces femmes à des fins de rela­tions publiques – dans l’attente de gag­n­er l’opinion publique occi­den­tale. Ces mêmes cri­tiques ont échoué à appréci­er les dif­férentes cul­tures poli­tiques qui exis­tent par­mi le peu­ple kurde dans son ensem­ble, dis­séminé à tra­vers la Syrie, l’Iraq, la Turquie, et l’Iran. Ils ont aus­si ignoré le fait que les femmes kur­des ont été engagées dans la résis­tance armée depuis des décen­nies sans que per­son­ne ne le remarque.

Les amazones ‘qui déchirent’ 

La vérité est que ma généra­tion a gran­di en recon­nais­sant les femmes com­bat­tantes comme un élé­ment naturel de notre iden­tité. Bien qu’il y ait encore un long chemin à faire, ce que cer­tainEs main­tenant appel­lent avec igno­rance « de la poudre aux yeux », a en fait for­mé les con­sciences de mil­lions de kurdes.

Actuelle­ment, mis à part le com­bat con­tre Daech et le régime d’Assad en Syrie, les femmes kur­des lut­tent aus­si con­tre les régimes qu’elles con­sid­èrent oppres­sifs, tels que la Turquie et l’Iran. Il y a de nom­breux exem­ples de femmes aus­si com­bat­tantes ou dirigeantes dans l’histoire kurde.

Par exem­ple, au 19ème siè­cle, Kara Fat­ma (Fat­ma la noire) a con­duit un batail­lon de près de 700 hommes dans l’Empire Ottoman et a réus­si à incor­por­er 43 femmes dans les rangs de l’armée – ce qui est très inso­lite pour l’époque. En 1974, Ley­la Qasim, à l’âge de 22 ans, devint la pre­mière femme à être exé­cutée par le régime Baas iraquien pour sa par­tic­i­pa­tion au mou­ve­ment étu­di­ant kurde.

Mal­gré cet héritage, ce serait un moment d’égarement d’appeler la société Kurde une société égal­i­taire pour les gen­res, con­sid­érant la pré­dom­i­nance des lois mas­cu­lines et de la violence.

Les Forces de Défense du Peu­ple (YPG) en Syrie et les Unités de Défense du Peu­ple (YPJ) du Kur­dis­tan Syrien com­bat­tent Daech depuis deux ans et mènent main­tenant une résis­tance épique dans la ville de Kobanê au Nord de la Syrie. Env­i­ron 35% d’entre eux – à peu près 15,000 com­bat­tants – sont des femmes. Fondée en 2013 comme une armée de femmes autonome, le YPJ con­duit des opéra­tions indépen­dantes. Il y a plusieurs cen­taines de batail­lons féminins à tra­vers la région du Kur­dis­tan Syrien. Meysa Abdo est la femme qui com­mande la résis­tance à Kobanê et des cen­taines de femmes sont décédées en com­bat­tant Daech.

Par­al­lèle­ment à la lutte exis­ten­tielle con­tre Daech, les femmes de la région du Kur­dis­tan Syrien, inclu­ant les arabes, les Assyri­ennes, les Turk­mènes, et les Arméni­ennes, ont mené une révo­lu­tion sociale con­tre l’ordre de la société patri­ar­cale à tra­vers une gou­ver­nance égal­i­taire et un mou­ve­ment fémin­iste venu de la base.

Les vrais combattantEs

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Nahi­da Ahmad Rashid, com­man­dante d’une unité d’élite fémi­nine de com­bat­tantes pesh­mer­gas pen­dant un entraîne­ment à Sulay­maniyah, au nord est de Bagh­dad, Irak.

Les com­bat­tants YPG/YPJ sont étroite­ment liés au Par­ti des Tra­vailleurs du Kur­dis­tan (PKK). Cette organ­i­sa­tion com­bat­tante est l’une des forces les plus fortes con­tre Daech, en but aux hos­til­ités avec la Turquie, elle est clas­si­fiée comme « organ­i­sa­tion terroriste ».

Bien peu savent que près de la moitié des rangs du PKK sont des femmes. Le mou­ve­ment s’engage explicite­ment dans la libéra­tion des femmes et impose des quo­tas, ain­si que la « co-prési­dence » à tous les niveaux – un homme et une femme, qui parta­gent le même siège. Ces poli­tiques ont été adop­tées par l’administration du Kur­dis­tan Syrien et les par­tis kur­des en Turquie et en Iran.

Influ­encée par la posi­tion fémin­iste du PKK, la majorité des femmes élues au par­lement turc ain­si que dans les admin­is­tra­tions munic­i­pales sont des Kur­des. Ensem­ble avec l’YPG/YPJ, les unités du PKK ont été la clé de la créa­tion d’un cor­ri­dor de sûreté pour sauver les Yézidis du Mont Sin­jar en août. Plusieurs femmes du PKK ont été tuées en défen­dant Makhmour dans le Kur­dis­tan irakien, aux côtés des com­bat­tants peshmergas.

Dans le Kur­dis­tan iraquien, plusieurs cen­taines con­stituent un batail­lon entier de pesh­mer­gas féminines. Plusieurs d’entre elles se plaig­nent de ne pas être déployées sur le front. Dans les années 1970’,80’, durant la résis­tance armée con­tre le régime de Sad­dam Hus­sein, les femmes kur­des prirent les armes aux côtés de leurs maris et ont même endossé des noms de guerre.

Aujourd’hui, les Kur­des iraquiens jouis­sent d’un niveau d’autonomie et de droits. Con­traire­ment aux anci­ennes généra­tions, qua­si­ment aucune des femmes actuelle­ment en ser­vice n’ont de l’expérience au com­bat et sont à la place plus sou­vent en charge de la logis­tique. La cul­ture féo­dale patri­ar­cale des deux par­tis dom­i­nants d’Iraq per­met moins la par­tic­i­pa­tion des femmes à la guerre.

Culture de résistance

S’il y a un fort mou­ve­ment fémin­iste par­mi les Kur­des, dépas­sant le champ de bataille aujourd’hui, cela a plus à voir avec les poli­tiques de gauche et la cul­ture de résistance.

Ceux qui voient la mise en avant du com­bat des femmes comme “rela­tions publiques” soit trait­ent tous les par­tis kur­des comme un groupe homogène, ou bien ignorent la révo­lu­tion sociale qui a précédé la lutte armée, et qui a don­né aux femmes kur­des une répu­ta­tion d’actrices poli­tiques impor­tantes et de décideuses à égalité.

De fait, la mobil­i­sa­tion mas­sive de femmes à Kobanê est l’héritage de longues décen­nies de résis­tance des femmes kur­des en tant que com­bat­tantes, pris­on­nières, politi­ci­ennes, dirigeantes du soulève­ment pop­u­laire et man­i­fes­tantes infati­ga­bles, ne voulant en aucun cas faire de com­pro­mis sur leurs droits.

Enfin, ça n’aide nulle­ment les femmes kur­des d’être “glo­ri­fiées” comme des enne­mis de Daech, si leur lutte poli­tique entière n’est pas recon­nue. Le “blanchi­ment” de la résis­tance des femmes kur­des par les médias occi­den­taux édul­core une lutte rad­i­cale de façon à ce qu’elle con­vi­enne aux per­cep­tions de l’audience occi­den­tale. Plutôt que de con­tester le fait embar­ras­sant que le mou­ve­ment auquel appar­ti­en­nent la grande majorité des femmes com­bat­tantes Daech soit classé comme organ­i­sa­tion ter­ror­iste – par la Turquie, L’Union Européenne, et les Etats Unis – ils lais­sent com­mod­é­ment cela de côté.

L’appréciation de ces femmes ne doit pas seule­ment louer leur com­bat con­tre Daech, mais elle doit aus­si recon­naître leur place et com­bat politique.

Celles et ceux qui cherchent à hon­or­er les enne­mis de Daech les plus braves peu­vent com­mencer par sup­port­er active­ment la résis­tance à Kobanê, deman­der la sup­pres­sion du PKK de la liste des organ­i­sa­tions ter­ror­istes, et offi­cielle­ment recon­naître l’administration kurde de Syrie, le Rojava.

Dilar Dirik

Dilar Dirik


 

Dilar Dirik est une mil­i­tante du Mou­ve­ment des femmes kur­des et écrit régulière­ment sur les luttes pour la lib­erté au Kur­dis­tan pour un pub­lic international.


Traduction par Kedistan. Vous pouvez utiliser, partager les articles et les traductions de Kedistan en précisant la source et en ajoutant un lien afin de respecter le travail des auteur(e)s et traductrices/teurs. Merci.
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